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soin des pauvres. On se contenta des produits indigènes et l’on n’eut plus besoin d’importer des marchandises précieuses. Aussi la navigation cessa-t-elle. La population diminua — et enfin l’essaim tout entier se retira dans le creux d’un arbre. On était parvenu au contentement et à la loyauté, — mais l’éclat et la puissance avaient disparu. — La morale est assez claire ; le bonheur et la moralité de l’individu ne peuvent subsister à côté de la civilisation de la société.

Dans une édition postérieure (The fable of the bees, or private vices publick benefits, 6 th ed., London, 1732), Mandeville a ajouté des notes, en partie sous forme de dialogue, où il développe nettement la différence entre ses idées et celles de Shaftesbury. — Il ne peut y avoir, dit-il, entre deux systèmes de contradiction plus grande qu’entre celui de Lord Shaftesbury et le mien. Ce sont les intérêts égoïstes de l’homme, son besoin de manger et de boire, son ambition et son envie, sa soif de jouissances, sa paresse et son impatience qui le poussent au travail, à la civilisation et à la vie de société. La satisfaction et la vertu font au contraire qu’on se contente de ce qu’on a. Il n’y a pas de besoin originel de vivre en société. Sans hypocrisie la société ne saurait subsister : qu’on réfléchisse aux conséquences que cela aurait si nous voulions tous exprimer loyalement nos idées et nos sentiments ! Le devoir d’un homme d’État véritable est celui-ci : rendre la société puissante, en faisant agir de concert les intérêts égoïstes de l’homme en vue du bien général ; mais il serait insensé d’extirper les maux nécessaires. Les vertus ordinaires ont été inventées par d’ambitieux politiciens qui pouvaient mieux s’assurer la domination et le pouvoir s’ils parvenaient à inculquer aux hommes l’esprit de sacrifice et d’obéissance ; ce moyen seul a permis de dominer les grandes masses. Mais à mesure que la civilisation grandit, l’enchaînement se révèle entre le vice et le mécontentement continuel de l’individu d’une part, et le bien de l’ensemble de l’autre. La philanthropie, qui veut supprimer la pauvreté, est nuisible. Dans un traité spécial (On charity and charity schools) Mandeville fait ressortir combien il est dangereux d’apporter aux pauvres plus de lumières qu’il n’est besoin pour leur situation : à qui confiera-t-on le soin des travaux les plus humbles et les