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culté, — tant par rapport à la nature que par rapport à la révélation, — c’est la pensée que, dans le monde naturel comme dans le monde surnaturel, nous ne sommes que des parties d’un tout immense que de notre place nous ne pouvons embrasser du regard.

Par cette observation, Butler atteint l’optimisme flatteur et dissimulateur, ignorant de la réalité des faits. Il y a un culte irréfléchi de la nature, tout comme il y a une croyance irréfléchie à la révélation, et le dogmatisme de la religion naturelle peut devenir aussi périlleux que celui de la religion positive. Mais la phrase de Butler peut se retourner, et elle signifie alors que dans le christianisme il y a les mêmes antinomies que dans la nature : on se demande alors quelle solution la révélation apporte à l’énigme de l’existence, si elle n’est qu’une espèce de redoublement ou de réflexion de la nature et de ses énigmes. La lance, dont Butler blessait ses adversaires, lui fait à lui-même une blessure.

Bernard de Mandeville (né en Hollande d’une famille française, établi médecin à Londres, mort en 1733) auteur de la Fable des abeilles, semble au contraire avoir évité de se blesser lui-même. La fable des abeilles est un poème qui parut en 1708 et qui fut vendu comme pamphlet dans les rues de Londres. Elle dépeint une société d’abeilles à l’apogée de la prospérité et de la puissance. Toutes travaillent avec ardeur à satisfaire aux besoins communs. L’activité incessante, le mécontentement, la volupté, la vanité, l’imposture règnent, mais contribuent en somme au bien commun. La dépravation qui règne dans les parties individuelles de l’État fait précisément de l’ensemble un vrai paradis, de même que les divers sons discordants d’un morceau de musique relèvent l’harmonie de l’ensemble. Les pauvres mêmes vivent mieux que ne vivaient les riches. Mais quelques-uns vinrent qui se mirent à crier : Plus de corruption ! Grand Dieu, contentons-nous d’être honnêtes ! Et ce cri trouva un écho. Les imposteurs les plus acharnés mirent le plus d’acharnement à réclamer à grands cris l’honnêteté. Les dieux exaucèrent cet appel. L’hypocrisie disparut. Le luxe cessa. Il n’y eut plus de guerres de conquête. La domination des prêtres et la bureaucratie furent restreintes. La chose publique prit