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ces moments. Mais il sait encore un autre chemin par lequel l’éthique nous mène à la religion. Le besoin immanent à notre nature d’éprouver l’amour et l’admiration trouve son objet suprême en Dieu. La religion agrandit notre sentiment et en change la direction, mais elle ne crée pas une espèce de sentiment entièrement nouvelle ; notre nature ne peut se transformer. C’est ainsi que pour Butler l’antinomie entre l’intérêt égoïste et le dévouement enthousiaste s’étend du domaine éthique au domaine religieux, sans aboutir à une solution définitive.

L’opposition de Butler contre Shaftesbury, c’est l’opposition du pessimiste contre l’optimiste. Le XVIIIe siècle commençait dans un esprit catégoriquement optimiste. On voyait la nature et la vie humaine sous des couleurs gaies et l’on mettait de grandes espérances dans le bonheur et dans le progrès. Leibniz, Locke et Shaftesbury exprimaient cet optimisme sous des formes différentes. Shaftesbury et les libres penseurs célébraient la religion naturelle, fondée sur l’observation de l’enchaînement et de l’harmonie de la nature, et l’opposaient aux mystères obscurs et aux dogmes inhumains de la religion révélée. Le sentiment personnel et la conviction théologique tout à la fois portèrent Butler à s’opposer à cette antithèse. Dans son remarquable ouvrage Analogy of religion, natural and revealed, to the constitution and course of nature (1736) il cherchait à démontrer que les objections principales dirigées contre la religion révélée touchaient aussi la croyance de la religion naturelle à l’action d’une Providence dans la nature. L’observation de la nature ne peut montrer qu’elle a une cause sage, juste et bonne. Si l’on se formalise de la doctrine de la prédestination et de la damnation, il ne faut pas oublier que dans la nature des germes innombrables périssent sans s’épanouir, et que dans cette vie bien rares sont les hommes qui parviennent à un développement moral complet ! Si l’on se formalise du dogme de la grâce, il ne faut pas oublier que dans la nature des innocents souffrent réellement pour les coupables ! Si le christianisme est choquant, la nature doit elle aussi être choquante. À vrai dire, le mystère est aussi grand dans l’un que dans l’autre cas. — Ce qui tire Butler lui-même de cette diffi-