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des notions relatives. C’est une des pensées en germe les plus importantes qui se trouvent chez lui. Mais l’atmosphère intellectuelle du xviiie siècle n’était pas favorable à son développement.

Tout en attachant une grande importance à l’instinct, Shaftesbury ne néglige pas pour cela la valeur de la pensée. C’est elle qui permet de réfléchir sur nos propres états internes, lesquels deviennent ainsi objets de sentiment et de jugement. Il s’autorise ici de l’expérience interne de Locke. La réflexion portée sur les mouvements involontaires qui se produisent en nous fait naître des sentiments spéciaux : l’estime ou le mépris, l’admiration pour ce qui est noble et bien, l’aigreur contre ce qui est bas et faux dans les pensées et dans les actions, sentiments apparentés avec le plaisir et le déplaisir esthétiques, mais qui s’en distinguent par leur caractère actif, incitant à l’action. Shaftesbury nomme ce sentiment « sentiment réfléchi » (reflex affection) ou « sens moral » (moral sense). Découlant des instincts naturels, il est lui-même naturel, primordial (Inquiry concerning Virtue and Merit).

Il y a, il est vrai une « froide philosophie » qui enseigne qu’il n’y a ni foi naturelle, ni justice naturelle, ni vertu véritable, parce que l’égoïsme et la soif de domination sont les seules forces effectives. Shaftesbury déclare que cette théorie provient peut-être de la répugnance à se laisser guider par la nature, pour servir à des fins situées en dehors du moi. Il enseigne lui-même que tous les êtres recherchent le bonheur. Mais il y a une grande différence, dit-il, entre chercher le bonheur en poursuivant des fins collectives, et circonscrire son attention à son propre intérêt, et peut-être même à la seule conservation de son individu. Il n’y a pas d’antinomie absolue entre le sentiment égoïste et le sentiment de sympathie : car l’amour et l’amitié produisent la satisfaction personnelle, puisque au moyen d’une sorte de réflexion on participe au bonheur que l’on prépare à d’autres, et d’autre part les conditions de notre existence sont si étroitement liées à celles d’autrui que nous cessons de pourvoir à nous-mêmes dès que nous cessons de pourvoir aux biens de la communauté. Il s’agit de mettre l’harmonie dans les diverses tendances qui s’agitent, dans l’esprit.