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et entre les hommes entre eux. Enfin il soutient que l’éthique est indépendante de la religion, tout en étant convaincu que le sentiment éthique se parfait comme sentiment religieux par la croyance à la Divinité active en toutes choses et créatrice d’harmonie.

Bien que Shaftesbury ait eu une grande vénération pour Locke, qui fut son maître, et qu’il dirige sa polémique la plus acerbe contre Hobbes, il n’en déclare pas moins (dans les Letters to a young man at the university), que Locke a détruit par sa critique des idées innées le fondement de la morale. Il accorde que les idées « innées » dans le sens même du mot « inné » sont absurdes. Il se sert lui-même de cette expression dans le sens de « naturel, conforme à la nature, instinctif », par opposition à ce qui est dû à l’art, à la civilisation et à l’éducation (cf. aussi The moralists, III, 2). Il ne s’agit pas, dit-il, de l’instant où un corps en quitte un autre, ou du moment où nos idées sont formées, mais de savoir si la constitution de l’homme est de nature à permettre que certaines idées naissent naturellement au cours de l’évolution. Et l’on ne peut prétendre que nous pouvons tenir les idées d’amour et de justice de l’expérience et du catéchisme seuls. Alors il faut aussi un catéchisme pour apprendre aux oiseaux à voler et à construire leurs nids, et au mâle et à la femelle à se trouver ! — D’après Shaftesbury, qui s’accorde en cela avec Grotius, Cumberland et Leibniz, il y a un instinct qui rattache l’individu à l’espèce et qui est tout aussi naturel que l’instinct de reproduction et que le soin de la progéniture. L’homme ne peut et n’a jamais pu subsister en dehors de la société. C’est à tort que l’on oppose l’état de nature à l’état social. En examinant de plus près le développement de l’espèce humaine, on trouve toute une série de différents états de nature, mais dans aucun d’eux ne disparaissent absolument la vie sociale et les instincts qui la fondent. — Par cette considération (The moralists, II, 4) Shaftesbury s’oppose à la théorie du contrat fondé sur le droit naturel, qui fait naître la société de l’association d’individus autonomes. Il remonte au point de vue de l’instinct obscur, où l’individu et la société ne sont pas encore opposés et du même coup il voit que l’état de nature et l’état de civilisation sont