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luations éthiques. Shaftesbury inaugure une opposition utile et féconde contre le rationalisme naissant, et comme il arrive si souvent quand un courant d’idées nouvelles jaillit dans les temps modernes, ce sont des influences antiques qui déterminent ses idées. L’harmonie antique, la modération et la confiance antique dans la nature se retrouvent chez Shaftesbury, mêlées il est vrai à quelque sentimentalité moderne. Anthony Ashley Cooper Shaftesbury, né à Londres en 1671, était petit-fils de l’ami de Locke. Locke prêta la main comme médecin lors de sa naissance et fut plus tard son professeur. L’instruction soignée qu’il reçut dans les langues classiques influa profondément sur lui. Il avait une institutrice qui parlait couramment latin et grec, en sorte qu’il apprit à parler ces langues comme sa langue maternelle. De saines pensées grecques furent de bonne heure inculquées à l’esprit de l’enfant. Il compléta son développement par des voyages en Italie et en France qui lui procurèrent la connaissance des hommes et lui fournirent l’occasion de cultiver ses goûts artistiques. Pendant quelques années il fut membre de la Chambre Basse. Le roi Guillaume l’appréciait beaucoup et voulait lui confier une haute fonction qu’il refusa. Sa santé était faible et il désirait une vie calme, vouée à la littérature. Il mourut à Naples, relativement jeune, en 1713.

Les œuvres de Shaftesbury, qu’il a lui-même réunies pour la plupart en trois volumes sous le titre de Characteristics of men, manners, opinions, times (Londres, 1711), ne sont pas le développement calme, systématique d’une idée ; elles donnent des effusions et des réflexions, souvent présentées sous forme de lettres ou de dialogues, qui souvent offrent une grande envolée et un grand sentiment poétique, mais qui souvent aussi se haussent sur une rhétorique sentimentale au lieu de s’appuyer sur de bonnes raisons. Il est le premier philosophe du sentiment, dans le bon sens comme dans le sens moins favorable du mot. Il défend l’importance du sentiment immédiat par opposition à la raison ergoteuse, à l’égoïsme calculateur et à la sensation extérieure. Il soutient la relation du beau avec le bien, en reprenant la conception antique de la vertu, qu’il définit une harmonie entre les parties de l’individu