Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tuelle et les Cartésiens n’ont pour cette raison pas le droit de prétendre que la matière ne peut pas penser.

Connaître, c’est percevoir la concordance ou la non-concordance des idées. Dans sa forme la plus simple, c’est l’intuition, l’intuition immédiate. En ce point Locke se rapproche nettement de Descartes, quand il dit par exemple que nous avons la science intuitive de notre propre existence ; c’est ce que prouve même le doute : si en effet, je sais que je doute, je possède une conception de l’existence de la chose mise en doute qui est aussi sûre que la perception de la pensée que je nomme doute ! Outre notre propre existence, nous percevons au moyen de l’intuition les rapports fondamentaux les plus simples entre nos idées. Une démonstration (demonstration) vient de ce que nous ajoutons les unes aux autres une série de connaissances intuitives. Chaque pas de la démonstration est une intuition immédiate : Ces deux sortes de connaissance sont les seules qui soient rigoureusement sûres. Toute connaissance autre est une hypothèse, une conviction plus ou moins vraisemblable ; telle est la connaissance sensible des choses situées en dehors de nous.

La connaissance démonstrative ne porte pas seulement sur les propositions mathématiques, mais encore sur l’existence de Dieu — et c’est là le seul cas où nous puissions connaître une existence positive en dehors de la nôtre par le moyen de la démonstration. La preuve de l’existence de Dieu de Locke est la preuve habituelle : du monde (ou de notre propre existence) il conclut à Dieu en tant que cause du monde. Mais elle prend un intérêt particulier, parce qu’il s’appuie sur le principe de causalité qu’il déclare être une vérité intuitive : nous avons la certitude immédiate que ce qui n’existe pas ne peut produire de réalité (non-entity cannot produce any real being) ! Il doit donc y avoir un Être éternel. Et cet Être ne peut être matière, poursuit Locke, car la matière ne peut engendrer la pensée. — La contradiction entre cette proposition et la proposition citée plus haut, qu’il est possible que la matière puisse penser, n’est qu’apparente. Car dans la proposition précédente il prétend que nous ne connaissons pas l’essence intime de la matière ; et ici il part de la matière telle que nous la connaissons77.