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rience nous montre des individus et des peuplades sans aucune idée de Dieu et sans idées morales proprement dites. De ce que ces idées et ces principes sont compris et adoptés dès qu’ils sont rendus distincts à la conscience, déduire qu’ils sont innés, c’est une conclusion injustifiée. Ce qui a besoin d’être rendu évident et d’être prouvé n’est pas inné, mais doit être appris. Naturellement il doit y avoir une capacité originale (capacity) pour apprendre, et l’on peut avec raison parler de lois ou de principes naturels, en ce sens qu’il y a en effet des opinions auxquelles l’homme arrive par l’usage naturel de l’expérience et de sa pensée. Locke range parmi ces idées, outre les vérités logiques et mathématiques, également les opinions religieuses et morales les plus importantes. Mais il appuie vigoureusement sur ce fait qu’une loi naturelle n’est nullement la même chose qu’une loi innée. La théorie des idées innées tient en majeure partie à la commodité qu’elle offre : on veut éviter d’étudier la formation des idées.

Cette polémique semble être spécialement dirigée contre les philosophes scolastiques, contre les Platoniciens de Cambridge et Herbert de Cherbury ; ce dernier est le seul représentant des « idées innées » qu’il nomme par son nom. Il n’est guère probable qu’il ait visé en premier lieu Descartes : l’explication plus nette que donne Descartes de l’expression impropre « inné » le soustrait à la critique de Locke. — Locke se servit lui-même d’une expression qui provoqua des méprises : l’ancienne comparaison de la conscience avec une table rase (tabula rasa). Par là il ne voulait pas contester (ainsi qu’on l’a souvent cru), que les facultés primordiales de l’âme précèdent l’expérience. — C’est une malheureuse propriété des termes philosophiques que de faire naître souvent des idées trop grossières. Même après la rectification précitée de la théorie de Locke, la critique de Leibniz demeure cependant juste, car Locke néglige soit l’importance des éléments obscurs, plus ou moins inconscients, soit la façon involontaire, spontanée dont les penchants primordiaux se font valoir. Le moment d’activité que Locke reconnaissait dans la formation de certaines idées fut même réduit par quelques-uns de ses successeurs pour être finalement supprimé. —