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Or l’unité dans la multiplicité n’est pas autre chose que l’harmonie. » Leibniz veut dire par là que le plaisir dépend de la plénitude et de l’harmonie des forces qui sont au fond de la vie, qu’on ait conscience de ces forces ou non. Le bonheur consiste en un plaisir continuel. La condition du bonheur est la sagesse : éclairer l’intelligence et exercer la volonté. Mais l’appétition involontaire mène déjà dans ce sens. Leibniz croit comme Grotius, l’ « incomparable » Grotius, ainsi qu’il le nomme, à la tendance involontaire à travailler non seulement à son propre bonheur, mais à celui d’autrui. L’amour, c’est la joie de voir le bonheur d’autrui après l’avoir fait sien ; l’amour désintéressé n’est possible lui-même que parce que le bonheur d’autrui se réfléchit pour ainsi dire sur nous. Comme vertu éthique principale, Leibniz, adhérant à Aristote, pose la justice, qu’il définit l’amour du sage (caritas sapientis) : l’amour fixe le but et la sagesse sait trouver les vrais moyens et leur vraie organisation. La justice consiste à donner à chacun le sien, à répartir les biens comme il convient, tant dans l’ordre du domaine public que dans la distribution de ce dont l’individu dispose. En ce sens la justice (considérée comme justice législative et répartitrice) vise à être utile à tous les hommes et diffère du droit strict (jus strictum), dont le but est le maintien de la paix dans la société (Voy. le traité De rationibus juris et justitiæ, 1693).

Il y a quelque chose de prophétique dans la philosophie du droit de Leibniz, bien qu’il ait utilisé en partie des éléments antiques et scolastiques. En assignant le bien universel ou le bonheur comme but au droit et à la morale, il se fait le devancier de ce qu’on appelle l’utilitarisme. Ses idées rappellent celles de Cumberland et il fut lui-même heureusement surpris en trouvant chez Shaftesbury, un contemporain plus jeune que lui, un ordre d’idées voisin du sien.

Tout en s’appuyant sur un fondement exclusivement psychologique, l’éthique et la philosophie du droit de Leibniz ne sauraient d’après sa conception se passer de la sanction théologique. Il s’accorde à dire avec Grotius que la morale et le droit ne peuvent se fonder sur le commandement arbitraire de la divinité. Mais comme tous les principes et toutes les lois