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sente le plus de maux, et qui pour cela est bien faite pour exercer notre croyance en Dieu et notre amour pour lui. » — Rapporter l’individu au tout, ce n’est pas non plus trancher la difficulté : car dans le système de Leibniz, où il y a vie et âme en tout point particulier de l’existence, il est impossible de fonder le sacrifice de l’individu pour l’ensemble. La souffrance de la monade isolée ne disparaît pas parce qu’elle relève la beauté de l’image du monde formée par l’ensemble de toutes les monades. La monade isolée pourra se plaindre avec raison du rôle qui lui est assigné et dire qu’elle préférerait ne pas exister plutôt que d’être en enfer, quand bien même cet enfer serait indispensable, comme une sorte de basse dans le grand orchestre de l’existence. Le sens de l’infiniment petit, des différences individuelles, propre à Leibniz, aurait dû logiquement le détourner ici de l’optimisme théologique.

e) Philosophie du droit.

Les idées de Leibniz sur l’éthique et la philosophie du droit se rattachent étroitement à l’ensemble de sa philosophie. Sa théorie des monades s’achève dans l’idée que l’existence est l’ « État de Dieu », ordonné selon le principe de justice, d’après lequel agissent les forces qui sont au fond de tout mécanisme. Le point de vue téléologique est commun à sa conception du monde et à son éthique.

Il trouve le fondement de l’éthique et de la philosophie du droit (qu’il comprend toutes les deux par la notion du droit naturel) dans l’aspiration immédiate, instinctive au bonheur. Tout plaisir pris en particulier répond à un progrès, à une « perfection » qui consiste, ou bien en ce que la force s’accroît, ou bien en ce qu’on obtient une harmonie plus grande dans le contenu compris par la force. « La perfection, dit-il (dans un petit traité intitulé : De la béatitude, un des rares ouvrages allemands que nous ayions de sa main) se manifeste dans la force d’agir ; d’ailleurs tout être consiste dans une certaine force, et plus la force est grande, plus l’être est élevé et libre. Allons plus loin : dans toute force plus la force est grande, plus s’y montre du multiple à partir d’Un et dans Un, en ce que quelque chose d’Un gouverne une multiplicité hors de soi et la représente en soi.