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vient de ce qu’il attire l’attention sur lui et que l’habitude affaiblit le sens du bien que nous possédons. Il faut des obstacles et des résistances, afin que notre activité puisse toujours être excitée à nouveau et pour que nous ne nous émoussions pas. Les bienheureux et les anges eux-mêmes doivent rencontrer de la résistance s’ils ne veulent pas devenir « stupides ». Bien que l’existence soit continue et harmonieuse il est utile que des fissures apparentes, des solutions de continuité et d’harmonie se présentent : cela exerce la pensée et relève la beauté de l’ensemble. — Leibniz va jusqu’à chercher à justifier le dogme de la damnation éternelle : il croit à une telle plénitude de lumière et de perfection dans l’ensemble de l’existence que, alors même que la majorité des hommes seraient soumis aux tourments éternels, leur douleur s’évanouirait en comparaison de cette somme infinie de bonheur !! — Quant à savoir si l’existence dans son ensemble fait des progrès en perfection ou si la perfection qu’elle possède ne varie que par la forme dans les états changeants, c’est une question que Leibniz ne veut pas trancher. Mais la disposition fondamentale de celui qui considère l’existence d’un regard élargi et plein d’intelligence, sera, d’après lui, certainement la joie. Il sera heureux de contempler la beauté et la perfection des choses ainsi que le développement continu du monde, joie très différente de la résignation stoïcienne à la nécessité.

Leibniz sans le remarquer donne bien plus raison à Bayle qu’il ne le veut. Abstraction faite de ce qu’il admet également deux principes dans un certain sens, il est obligé de faire positivement à Bayle cette concession qu’il est très difficile, quand on borne la considération des choses à l’expérience, d’affirmer l’optimisme théologique. En invoquant l’infini de l’existence et les bornes de notre savoir, Leibniz cesse à proprement parler sa démonstration ; comment sait-il en effet ce qui se passe dans les autres régions de l’univers ? Il s’autorise d’une croyance ; c’est dire que la question est insoluble au moyen de la raison. Dans une lettre de la même époque que la Théodicée (lettre à Bourguet, reproduite dans Gerhard, III, p. 550 et suiv.) il dit d’ailleurs : « Nous ne pouvons embrasser qu’une très faible partie de la chaîne des choses, celle qui pré-