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après) que pour être le meilleur ; il n’est pas dit que le monde choisi soit assez bon pour être réalisé ! La tendance à exister, le besoin de réalisation que Leibniz attribue aux possibilités éternelles (partout il ne peut se représenter des possibilités qu’à l’état de réalités infiniment petites) pourraient bien venir du mal ! Leibniz doit donc chercher à démontrer que le monde réel vaut d’exister ; qu’un examen approfondi et étendu découvre une profusion du lumière et de perfection. — Il demande de ne pas considérer une seule partie du monde, mais de penser au tout. Un son faux en soi peut produire dans un ensemble musical un excellent effet. Recouvrez un tableau à l’exception d’un petit coin : celui-ci fera alors l’effet d’un assemblage incompréhensible et obscur de couleurs ; mais dans le tableau entier il concourt à déterminer l’impression. Un ingrédient amer dans un mets en relève le bon goût, tandis qu’à lui seul il serait insipide. — Jusqu’où faut-il donc étendre l’observation ? L’existence est infinie, répend Leibniz. La pensée de la Providence, le but qui est au fond des choses et qui détermine leur passage à la réalité, est donc inaccessible pour nous. Nous ne connaissons qu’une petite partie imperceptible du monde75 — et peut-être celle justement où se trouvent la plupart des maux ! Des fins et de l’idéal humains nous ne devons pas faire la chose unique ou la chose définitive en dernière analyse. Dieu poursuit des fins qui embrassent l’univers entier, où se trouvent sûrement encore bien d’autres êtres que les hommes. — Et cette œuvre immense, infinie, devrait à cause de notre malheur et de notre péché être changée ou reprise ? Surtout que tout est enchaîné à ce point que, si par exemple l’on retirait l’ignominie de Tarquin ou la trahison de Judas, le développement historique aurait été tout autre. Dieu a mis au monde les êtres individuels ; mais ils sont eux-mêmes les causes de leurs actions ; il a créé la source, mais non le fleuve. Et bien qu’il ait su ce qui découlerait de cette source, il l’a cependant créée parce que le monde qui en dérive est en définitive meilleur que tout autre. Sans la trahison de Judas la mort libératrice du Sauveur ne se serait pas produite : il y a donc une bonne raison de dire avec le vieux psaume : O felix culpa ! — Si le mal de ce monde est si fortement mis en relief par tant de gens, cela