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monde positif il en était plusieurs de possibles : ce monde-ci ne peut donc avoir été formé que parce qu’il est le meilleur. Mais le monde le meilleur ne veut pas dire un monde sans mauvais côtés et sans défauts, mais seulement un monde où les défauts sont imperceptibles en comparaison des perfections. Tout monde possible devant consister en êtres finis, devait nécessairement présenter des imperfections, car la nature finie entraîne la limitation et pour cette raison elle ne peut admettre complètement en soi la nature divine. De la limitation (le mal métaphysique) naissent la souffrance (le mal physique) et le péché (le mal moral). Le mal a donc en quelque sorte son origine en Dieu : non pas toutefois dans la volonté de Dieu, qui veut toujours le bien, mais dans la raison divine, au sein de laquelle résident de toute éternité les images possibles des mondes. Dieu a créé la réalité, mais non les possibilités. La source du mal, c’est l’imperfection inhérente à tout monde possible d’êtres bornés ; toutefois cette imperfection est réduite au minimum par le choix du divin créateur, et ainsi disposée, qu’elle sert à produire et à mettre en relief une perfection d’autant plus grande. — Sous une forme un peu plus mythologique et avec des couleurs plus vives, la conception de Leibniz serait à vrai dire la même que celle de Jacob Böhme. Et tous deux se rapprochent de Bayle en admettant (ainsi que Leibniz le remarque lui-même) comme lui deux principes, à cela près qu’ils croient pouvoir les unir dans la nature d’un seul et même Dieu, tandis que Bayle trouvait nécessaire d’admettre deux Dieux. Leibniz et Böhme laissent les possibilités lutter et se combattre dans la nature divine, prélude de la lutte dans l’existence réelle.

Bayle avait prétendu que ce qui faisait la force de la théorie manichéenne, c’était la misère et le péché du monde attesté par l’expérience, tandis qu’une conception a priori préférerait sans doute affirmer l’unité fondamentale du monde. Leibniz est donc obligé de le suivre dans le domaine de l’expérience. Souvent, il est vrai, il se contente de dire : ce monde doit être le meilleur des mondes possibles ; sinon Dieu ne l’aurait pas choisi ! Il ne voit pas l’objection qui pouvait être faite (et que Schopenhauer, l’antipode de Leibniz, fit bien des années