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et elle pria Leibniz de les réfuter. Leibniz se croyait bien préparé à cette tâche. Depuis ses premières esquisses il avait envisagé le problème d’une théodicée, c’est-à-dire le problème suivant : comment la croyance que le monde a son origine dans un être qui est toute puissance, toute bonté et toute sagesse peut se concilier avec l’expérience du mal physique et moral de ce monde. Il y avait déjà bien longtemps qu’il avait projeté un ouvrage là-dessus : la « Réponse à un Provincial » de Bayle et l’invitation de la reine le déterminèrent à rédiger et à publier ses Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal, qui parurent en 1710 à Amsterdam.

À l’assertion de Bayle, que les dogmes de la religion sont contraires à la raison et que néanmoins il faut y croire, Leibniz oppose la distinction entre ce qui est au-dessus de la raison et ce qui contredit la raison. Cette distinction se rattache à sa division des vérités en vérités éternelles (qui se fondent sur le principe d’identité) et en vérités de fait (qui relèvent du principe de raison suffisante). Rien qui doive être cru ne peut contredire la première espèce de vérités rationnelles. L’existence de Dieu n’est possible par exemple que si le contenu de la notion de Dieu, si les qualités attribuées à Dieu ne se contredisent pas. Mais une opinion peut être au-dessus de ce qu’apprend l’expérience, car la nécessité rationnelle de l’enchaînement des phénomènes, que nous trouvons au moyen du principe de raison suffisante, est toujours conditionnée : les principes de la science de la nature ne s’expliquent pour Leibniz que par la pensée d’une Providence, par un principe téléologique. Le principe des vérités de fait, le principe de raison suffisante nous mène justement au delà de l’expérience. L’harmonie des monades et l’enchaînement régulier de tout ce qui se produit ne peuvent en effet s’expliquer que par un être absolu qui a créé le monde suivant un choix raisonnable. Toute chose individuelle, tout événement individuel en soi est contingent : nous ne parvenons donc pas à clore la suite des raisons ou des causes, à satisfaire entièrement au principe de raison suffisante, si nous ne remontons pas à une cause première qui est sa propre cause. Leibniz conclut au choix raisonnable de ce fait, que en dehors de ce