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catégoriquement que Spinoza à l’égard de sa seule et unique substance. La difficulté de cette notion absolue de substance, c’était pour Spinoza d’expliquer comment la multiplicité des attributs et des êtres individuels pouvait s’allier avec l’hypothèse d’une seule substance. La difficulté de cette même notion, c’était pour Leibniz d’expliquer la concordance des états des différentes monades, si chacune d’elles n’est déterminée que du dedans et (pour employer les propres figures de Leibniz) si aucune d’elles n’a des trous, des fenêtres ou des portes par où quelque chose du dehors puisse pénétrer dans la monade. Et Leibniz avait encore la difficulté de concilier la théorie des monades avec ses hypothèses théologiques.

Leibniz regarde ces deux difficultés comme résolues par une pensée unique. Il considère comme un fait que les états des différentes monades se trouvent concorder : il existe une harmonie universelle ou un accord universel entre tous les êtres qui sont au monde. Il est évident qu’il part ici, ainsi que nous en avons touché un mot, de la perception de l’action physique réciproque qui est générale dans le monde et de l’idée empirique (tout en étant appuyée sur un raisonnement par analogie), que les perceptions et les représentations des individus particuliers concordent en ce sens, que l’on peut construire un tableau d’un même monde dans ses grands traits. Or, comme la réalité proprement dite est une multiplicité d’êtres absolument indépendants et autonomes, qui peuvent être regardés (selon l’expression de Leibniz dans une lettre) comme des petits dieux, parce qu’ils ont la vie en eux-mêmes, il doit y avoir — conclut-il — un créateur commun de cette harmonie. « Dieu seul, dit-il dans le (Discours, § 32), fait la liaison ou l’enchaînement des substances, et c’est par lui seul que les phénomènes d’un homme coïncident avec ceux d’un autre homme et qu’ils concordent avec eux de telle sorte que la réalité de nos représentations se forme. » Dieu a dès le début créé les monades individuelles de façon que l’une tienne compte de l’autre ; leur concordance vient de leur origine commune. Elles naissent de Dieu par émanation ou fulguration, à l’état d’individualisations de la force divine unique, de même que chacune de nos pensées en particulier est un rayonnement de la force de notre