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science était pour eux une énigme parce qu’ils ne tenaient pas compte des degrés et des formes obscures de la vie psychique, de l’inconscient, de la tendance et de l’aspiration qui ne s’éveillent à la clarté de la conscience qu’aux degrés supérieurs de la vie. En nous-mêmes nous percevons sans cesse la succession d’états clairement conscients, obscurs et inconscients. Par analogie avec cela nous devons nous représenter des monades à tous les degrés de clarté et d’obscurité. Il y a des monades qui sommeillent, qui rêvent, qui sont plus ou moins éveillées. L’identité de la nature mène à cette conception. La partie de la matière qui forme le corps humain ne saurait être la seule qui soit douée de la faculté de sentir et de vouloir. On doit pouvoir trouver aux degrés inférieurs quelque chose d’analogue (qu’on le nomme ou non âme). Leibniz appelle cette application de l’analogie dans une lettre (mai 1704) « mon grand principe des choses naturelles ».

La voie par laquelle toutes les mythologies et les systèmes spéculatifs anciens avaient été amenés — sans en avoir conscience — à admettre la suprématie de l’esprit dans l’existence, est suivie par Leibniz en toute connaissance de cause. Il montre clairement le point où commence tout idéalisme métaphysique. Ici encore ce qui le guide, c’est l’hypothèse de l’intelligibilité pleine et entière de l’existence. De cette hypothèse découle la continuité de toutes les existences et l’analogie de tous les êtres avec notre être à nous.

Mais ce point atteint dans l’évolution de sa pensée, Leibniz est arrivé à un tournant. Il édifie sa philosophie en partant de l’analyse des phénomènes matériels, guidé qu’il est par la tendance à en trouver la réalité véritable. Une fois parvenu à l’idée qu’il n’existe à vrai dire que des êtres représentatifs avec des représentations différant par le degré d’obscurité ou de clarté, il ne voit plus dans la matière qu’un simple phénomène. C’est un phénomène sensible, qu’il semble exister des corps. Cependant les sens ne nous trompent point, pas plus qu’ils ne nous trompent lorsque nous croyons que le soleil tourne autour de la terre. Les phénomènes sont réels en tant qu’un enchaînement régulier les relie, qu’une loi détermine leur ordre de succession. Cette loi est la marque caractéristique de