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laquelle il pouvait négliger les oppositions confessionnelles. Ce qui l’intéressait, c’était bien plutôt la religion naturelle que la religion positive. Et son sens de l’individuel et du caractéristique lui rendait facile et attrayante l’étude des différents systèmes religieux. De même sa foi dans l’harmonie de toutes les particularités et tendances individuelles engendra en lui le désir de réconcilier les Églises désunies. Ce désir cependant n’était pas partagé par des hommes tels que Bossuet et Spener, qui étaient incapables de trouver un détail légitime dans les confessions autres que la leur. Arnauld le convia à se convertir à la vraie foi plutôt que de réfléchir à l’harmonie des choses. Ce qui caractérise bien Leibniz, c’est l’histoire de deux frères qu’il aimait à raconter : l’un des frères, ayant passé au catholicisme, cherchait à convaincre l’autre, pendant que celui-ci mettait le même zèle à le ramener au protestantisme. Le résultat fut que tous deux se convainquirent l’un l’autre, — à la fin Dieu eut pitié des deux frères pour leur grand zèle ! — Ce qui intéressait Leibniz, c’était la force interne et la tendance interne des monades, et non pas seulement la façon particulière dont la force se manifeste dans la monade isolée, qui souvent trouve que cette façon est la seule bonne. Leibniz avait foi dans l’harmonie universelle, qui pour lui n’était pas seulement un résultat de l’avenir, mais qui existait déjà dans les esprits, pourvu qu’ils puissent en avoir conscience. Dans chaque livre que Leibniz lisait — et il en lisait beaucoup — il trouvait quelque chose d’intéressant et d’instructif, et sachant l’aspect différent sous lequel peuvent se présenter les choses, il était porté à défendre et à excuser là même où il ne pouvait approuver. Il s’entendait à parler avec les gens de toutes positions sur ce qui les intéressait. Sa croyance aux monades s’étendait même aux formes humbles. Il évitait de tuer des animaux et quand il avait pris un insecte pour l’examiner au microscope, il le remettait avec précaution sur la feuille d’où il l’avait enlevé. Doux et gai, étranger à toutes les émotions violentes, toujours occupé par la pensée et par l’étude — ainsi il traversait le monde. — Il passa ses dernières années dans la solitude. Ses nombreux travaux ne lui avaient pas, ainsi qu’il disait lui-même, laissé le temps de se marier, — jusqu’à ce qu’il fût trop tard.