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d’élus. Tschirnhausen, mathématicien et philosophe qui appartenait à ce cercle, et l’un des correspondants les plus sagaces de Spinoza, se trouva à Paris avec Leibniz et lui donna un aperçu des idées de Spinoza. Par un ami commun, Tschirnhausen fit savoir à Spinoza qu’il avait rencontré à Paris « un jeune homme du nom de Leibniz, fort versé dans les différentes sciences et dégagé des préjugés théologiques courants, avec lequel il s’était lié d’amitié, car c’était un homme qui comme lui-même travaillait au développement de son esprit et voyait dans cette tâche la chose la plus importante ». Tschirnhausen estime son nouvel ami digne de connaître l’Éthique ; il demande au maître la permission de la lui montrer, en rappelant que Leibniz a déjà écrit une lettre à Spinoza à propos du Traité théologico-politique, Spinoza répond : « Je crois connaître ce Leibniz par ses lettres. Mais je ne sais pas pourquoi il est allé en France, lui qui était Conseiller aulique à Francfort. Autant que j’ai pu voir par ses lettres, c’est un homme à l’esprit libre et fort versé en toute science. Je crois néanmoins qu’il ne serait pas raisonnable de lui confier si tôt mes écrits. Je voudrais d’abord savoir ce qu’il fait en France et ce que notre ami Tschirnhausen pensera de lui lorsqu’il aura cultivé assez longtemps sa société et qu’il connaîtra mieux son caractère. » Spinoza n’avait évidemment pas bien confiance en Leibniz, dont la complexité et la souplesse n’étaient sans doute pas toujours favorables à son caractère intellectuel et donnaient en tout cas à la vie de son esprit et à son activité un cachet absolument opposé à celles de Spinoza, qui menait une vie de penseur retirée et concentrée. La méfiance de Spinoza se trouva justifiée. Leibniz approche de Spinoza dans ses derniers résultats, s’il est logique ; mais il n’en saisit pas moins toutes les occasions dans ses ouvrages postérieurs de s’écarter de lui ; même souvent il le fait dans des termes que l’on n’attendrait pas d’un homme qui était « dégagé des préjugés théologiques courants ». À cette époque toutefois il désirait très ardemment prendre contact avec Spinoza. Après un séjour de quatre ans à Paris (1672-1676), où il avait joui du commerce d’Antoine Arnauld, le grand théologien janséniste et cartésien — ce qui prouve sa faculté d’apprécier des esprits différents et de les utiliser pour son ensei-