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aussi la liberté complète de religion. Tel est l’objet principal de son Traité théologico-politique. Il prétend démontrer ici que la religion n’a affaire ni avec l’État ni avec la science, et que l’État, conformément à sa nature et à sa fin, doit permettre à la vie morale intérieure de se développer avec une entière liberté. L’État peut commander l’action extérieure seulement, mais non l’âme. Il peut fixer un culte extérieur, et sous ce rapport sa domination est préférable à une hiérarchie. Mais même quand il use ainsi de son pouvoir, ce qu’il peut faire de mieux, c’est de faire consister la pratique de la religion dans les œuvres de charité et de justice seulement. La nature de l’esprit (ingenium) est si différente chez les hommes, que l’un éprouve du respect pour ce qui excite le rire de l’autre. Le mieux est donc de garantir à chacun sa libre conviction et le droit d’interpréter les documents religieux d’après la tendance de son esprit propre (ex suo ingenio). — La religion se distingue de la science par son caractère pratique. Elle vise à la piété, non à la vérité. Les prophètes n’étaient pas, intellectuellement parlant, des hommes particulièrement bien doués. L’imagination était chez eux plus forte que l’intelligence. Leur tâche était d’inculquer au peuple, au moyen d’images et de symboles, des idées pouvant le porter à vivre dans l’obéissance à Dieu, obéissance qui s’exprime par l’amour du prochain. La foule, qui ne peut suivre les conclusions de la raison, doit avoir pour guides des modèles historiques. Par là seulement elle devient obéissante — non par simple crainte, mais de sa propre volonté et par sa propre résignation. Les opinions théoriques que les hommes peuvent avoir de Dieu — selon qu’ils croient qu’il est feu, ou souffle, ou lumière, ou pensée — sont indifférentes, pourvu qu’ils possèdent en lui un idéal qui puisse les mettre sur la bonne route. — Les prophètes d’après Spinoza n’ont pas vu la vérité sous sa forme pure, mais seulement en images ; la sagesse divine s’est au contraire immédiatement révélée dans le Christ, le seul qui ait eu le pouvoir de ne rien concevoir qui ne soit pas contenu dans les premiers principes de notre connaissance ou qui ne puisse en être dérivé. Spinoza déclare dans une lettre (Ep. 73) qu’il ne comprend pas ce que l’Église veut dire quand elle enseigne que Dieu a revêtu la nature humaine ; cela lui