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pour persister dans son idée que la nature humaine est la même dans tous les hommes et que les mesures de sûreté sont tout aussi nécessaires contre ceux qui gouvernent que contre ceux qui sont gouvernés. Chez les gouvernants, pas plus que chez la foule, on ne peut supposer les mobiles les meilleurs. Et si l’on croit que la foule n’entend rien aux affaires publiques, cela tient à ce qu’elle est tenue dans l’ignorance à ce sujet. Spinoza est un des premiers philosophes démocrates des temps modernes ; mais son Traité politique n’ayant pas été achevé, nous ne connaissons pas dans le détail sa théorie de la démocratie. Il est significatif que Hobbes prétende qu’une démocratie est de fait toujours une aristocratie — d’orateurs, tandis que Spinoza prétend qu’une monarchie est toujours une aristocratie — de fonctionnaires. Il faut bien naturellement que les fonctions publiques soient toujours exercées par quelques-uns — mais il s’agit de savoir où l’on trouve la dernière source de l’autorité. D’après Spinoza, il faut que l’État s’appuie sur la force unie de la multitude, en la fondant en une volonté unique, de même que la force de l’individu croît quand elle est unie à la force d’autres individus. Mais cette unité morale dont dépend l’unité du pouvoir ne peut exister que là où l’État a en vue ce que la saine raison indique comme étant utile à tous les hommes. Pour l’amour de la paix on peut consentir à beaucoup de choses, mais si l’esclavage, la barbarie et l’isolement venaient à être décorés du nom de paix, la paix serait pour les hommes la pire de toutes les misères. L’État ne doit pas faire des hommes des animaux ou des machines, il doit veiller à ce que leur activité spirituelle et physique puisse se développer librement et qu’ils puissent user de leur libre raison. Le pouvoir d’État ne repose que sur la libre association des individus, aussi l’individu ne renonce-t-il pas à son droit naturel en entrant dans l’État, il parvient justement par là à s’assurer et à développer ce droit. L’État agirait contre son propre but en réprimant la liberté de pensée et de parole des individus ; le plus clair résultat serait de se faire des ennemis des hommes les plus nobles et les meilleurs du pays.

Comme Spinoza défend la liberté de parole, ainsi il défend