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peut voir à l’exposé de Spinoza si cette existence sous forme de mode éternel de pensée (modus cogitandi æternus) est personnelle ou non ; son idée de l’immortalité est en tout cas fort différente de l’idée populaire. Il fait remarquer à la fin que la croyance à l’éternité de notre esprit n’est pas une condition de l’éthique, et il indique qu’il a lui-même développé son éthique sans tenir compte de cette conception. La félicité n’est pas la récompense de la vertu, elle est identique à la vertu. Car nous ne pouvons maîtriser nos passions que si nous pouvons nous réjouir de l’activité suprême de notre esprit. —

Les profondes et saines pensées de l’Éthique de Spinoza auraient atteint tout leur épanouissement, s’il avait développé tout au long sa théorie psychologique. L’intellectualisme prend maintenant le dessus chez lui, surtout quand il veut décrire les formes les plus hautes de la vie de l’esprit. Voilà pourquoi son éthique est trop une éthique à l’usage des philosophes. Le rôle de l’abnégation immédiate et de la contemplation artistique n’est pas reconnu, bien que son « amour intellectuel » fondé sur l’intuition contienne des indications en ce sens. Mais personne ne pourra se plonger sans parti pris dans la lecture de l’admirable ouvrage de Spinoza, sans s’associer aux paroles de Gœthe, quand il dit l’immense désintéressement qui jaillit de chaque phrase, la résignation sublime qui se soumet une fois pour toutes aux grandes lois de l’existence, au lieu de se frayer une voie à travers la vie à l’aide de mesquines consolations, et l’atmosphère de paix qui se dégage du livre tout entier. —

Mais la paix doit pour Spinoza être conquise de haute lutte. L’individu la conquiert en luttant contre les passions ; ce combat développe une nouvelle passion, supérieure ; les hommes vivant en société parviennent à la paix en abolissant la sauvagerie de l’état de nature, où chacun s’attribue autant de droits qu’il a de pouvoir, et en instituant une autorité qui puisse apaiser les appétits contraires et mettre en harmonie les tendances des individus à persévérer dans leur être. Dans sa politique comme dans sa psychologie, Spinoza subit nettement l’influence de Hobbes. Seulement il n’éprouve pas la crainte aveugle et étroite qu’a Hobbes de la foule. Il est assez logique