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nos états nous sommes déterminés par la nature infinie, par la divinité qui se manifeste aussi bien en nous que dans toutes les choses qui agissent sur nous, moins nous nous considérons comme un être seul, isolé, impuissant, mais au contraire comme compris dans la divinité et identique à elle. Nous éprouvons du plaisir à cette pensée, car elle est le fruit de l’activité suprême de notre esprit, ainsi qu’en pensant à l’Être qui est la cause de la joie que nous éprouvons par la connaissance : de là nait un amour intellectuel de Dieu (amor intellectualis Dei), qui nous procure la paix suprême. Dieu n’est pas ici objet extérieur ; notre propre force intérieure est une partie de la force infinie qui se meut en toutes choses, et notre amour devient identique à l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même : l’amour de Dieu pour les hommes et l’amour des hommes pour Dieu sont une seule et même chose. Nous nous voyons nous et toutes choses sous le point de vue de l’éternité. — Spinoza mystique entre en conflit avec Spinoza psychologue ; car l’amour intellectuel (humain et divin) doit être au-dessus de toute genèse et de toute différence ; mais Spinoza déclare lui-même que le sentiment correspond à une transition, soit à un progrès, soit à un recul ! Il ne peut maintenir la conclusion mystique de l’Éthique qu’en expliquant le sentiment comme une pensée obscure et en supprimant la loi de relation.

Dans le cinquième livre de l’Éthique, où le mysticisme prédomine, se trouve en même temps la doctrine de Spinoza sur l’immortalité. Notre être véritable se manifeste par l’amour intellectuel de Dieu fondé sur l’intelligence de notre unité avec l’Être absolu : il ne dépend donc pas du temps, c’est une partie de l’intellect infini (intellectus infinitus), de l’idée de la divinité (idea Dei), qui subsiste, bien que les phénomènes spirituels particuliers naissent et passent, et qui correspond à la conservation du mouvement de la matière. En tant que forme immédiate de l’activité divine nous sommes immortels. Mais cette immortalité — qui toutefois n’est pas une existence continuée, mais une existence éternelle, le rapport de temps n’ayant absolument aucune signification — ne semble pouvoir être due qu’à ceux où se trouve développée la connaissance la plus haute, et par suite la pleine et claire spontanéité67. On ne