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vraie, fixe son attention sur le développement positif de la vie en lui-même et en autrui. Il ne pense à rien moins qu’à la mort ; sa sagesse est une méditation sur la vie (meditatio vitæ), non sur la mort. Il tend de toutes ses forces à rendre l’amour ou la générosité pour la haine, la colère et le mépris d’autrui. Qui combat la haine par la haine, vit une misérable vie ; mais si la haine est vaincue par l’amour, les vaincus reculent avec joie, non parce que leur force décroît, mais parce qu’elle s’accroît. Un homme ne saurait mieux montrer sa force d’esprit qu’en concourant à la vie des autres, de façon à ce qu’ils vivent d’après leur propre connaissance libre66.

L’Éthique de Spinoza conduit par cette voie de l’effort pour la conservation personnelle, pris pour base, à l’activité pratique et à l’institution de sociétés ; mais une autre tendance se manifeste encore en lui qui du même point de départ mène dans le sens du mysticisme et de l’individualisme. De son point de vue psychologique antérieur s’impose toujours la conception que l’essence véritable de l’homme consiste dans la pure connaissance ; plus elle peut se développer, plus la nature véritable de l’homme ressort, plus il est doué en réalité de spontanéité, et l’instinct véritable de la conservation de soi mène ainsi au développement de la connaissance. C’était aussi la connaissance de la connexion de notre esprit avec la nature entière, qui était aux yeux de Spinoza l’unique bien dont nous ne pussions êtres privés par des causes extérieures. Aussi Spinoza peut-il presque d’une haleine (cf. Éth. IV, 22. Coroll. avec 26 Dem.) établir ces deux propositions : l’effort pour persévérer dans son être est le premier et l’unique fondement de la vertu ; l’effort pour connaître (conatus intelligendi) est le premier et l’unique fondement de la vertu. À côté de la psychologie réaliste d’après laquelle Spinoza concevait les sentiments et les passions comme des puissances positives de notre être, il y a une autre conception d’après laquelle il définit le sentiment une idée imparfaite ou confuse (idea inadaequata sive confusa, voir l’explication à la fin du 3e livre de l’Éthique). D’après cette dernière explication la passion disparaît quand la connaissance a pris un développement clair et complet. Plus nous comprenons que nous-mêmes ainsi que