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nuisible — n’est pas autre chose qu’une joie consciente quand nous nous rapprochons de l’idéal, ou un chagrin conscient quand nous nous en éloignons ; et cette connaissance, par cela même qu’elle est identique à un sentiment, peut devenir une force dans l’âme. L’homme voit bientôt qu’il ne peut par son propre secours parvenir à la force et à la liberté d’esprit complètes. Il faut que toute la vie extérieure soit réglée et assurée. Cela est notamment vrai du développement d’une véritable connaissance ; elle aussi ne sera atteinte que par l’union des forces ; de même il n’est rien d’autre part qui unisse mieux les hommes que la recherche des biens qui peuvent leur être communs à tous. Les seules passions qui engendrent la discorde parmi les hommes sont celles qui ont pour objet quelque chose que l’individu seul peut posséder. Plus l’individu acquerra de liberté et de facultés intellectuelles, moins il y aura de discordes parmi les hommes, et plus ils agiront en commun, car ils rechercheront tout ce qui est vraiment profitable à la nature humaine. Rien n’est si utile à l’homme que les hommes. Le mieux serait que tous pussent être comme une seule âme et un seul corps, en recherchant l’utilité commune. Voilà pourquoi ceux qui recherchent leur propre avantage véritable ne désirent rien pour eux-mêmes qu’ils ne souhaiteraient également à autrui, et pour cela ils deviennent justes, fidèles, honorables dans leur conduite. La force (fortitudo) dans laquelle consiste la vertu ne se présente pas par suite seulement sous la forme de l’ardeur vitale (animositas) au moyen de laquelle l’homme fait directement valoir sa personnalité, mais encore sous la forme de la générosité (generositas) par laquelle l’homme cherche à aider autrui et à se l’associer par l’amitié.

Ce qui caractérise bien Spinoza, c’est l’appréciation des divers sentiments qu’il donne après avoir présenté l’image idéale du développement humain. Le plaisir est bon en lui-même, la douleur mauvaise en elle-même. Voilà pourquoi haine, crainte, mépris, compassion, repentir et humilité sont mauvais — autant qu’ils ne sont pas des moyens termes nécessaires à la formation des plaisirs. La raison en est que le plaisir correspond à un progrès en perfection, le déplaisir à un recul. L’homme à l’esprit libre qui est guidé par la connaissance