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point de vue pratique n’est valable que dans la natura naturata. Spinoza établit une éthique du même droit qu’il affirme la signification du monde fini empirique des modes. Il n’y a pas plus d’inconséquence à établir une éthique qu’à établir d’une manière générale des idées autres que celle de la substance absolue.

La possibilité d’une éthique est étroitement reliée chez Spinoza à sa théorie psychologique des sentiments. Le fondement de l’éthique, c’est la tendance à persévérer dans l’être, qui est au fond des divers sentiments et des passions. De cette tendance peut en effet résulter le besoin de n’être pas tiraillé par les sentiments et les passions que provoquent en nous des causes extérieures. Comme partie de la nature, comme mode parmi d’autres modes, l’homme est dépendant et est jeté ça et là comme les vagues de la mer, sans connaître de but ni de direction. Nous aspirons alors naturellement à conserver notre être, à parvenir à une activité intérieure pleine et entière. La vertu éthique fondamentale, c’est la force d’âme (fortitudo), puissance intérieure qui rend l’homme libre et indépendant. La vertu, c’est précisément l’essence ou la nature même de l’homme, en tant que celle-ci possède le pouvoir de produire des effets qui peuvent se comprendre par les lois de la nature humaine. Pour pouvoir atteindre ce caractère, l’homme doit se pénétrer de cette pensée, qu’aucun sentiment ou aucun appétit ne peuvent être entravés en nous que par un sentiment ou un appétit plus fort. Spinoza étaye la preuve de cette proposition sur la loi de l’inertie, qui en raison de l’identité de l’esprit et de la matière a son pendant dans le côté spirituel de l’existence. Le développement éthique est rendu possible parce qu’on peut provoquer des sentiments qui supplantent insensiblement les sentiments par lesquels ils ont été primitivement provoqués. Lorsque par la comparaison des formes et des degrés différents de conduite humaine nous nous formons un idéal de la nature humaine (idea hominis, tanquam naturæ humanæ exemplar), nous appelons bon tout ce qui nous rapproche de cet idéal, mauvais tout ce qui nous empêche d’en approcher, et une tendance se forme à en arriver le plus près possible. La connaissance du bien et du mal — portant sur ce qui nous est en réalité utile ou