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des êtres individuels ; exister, c’est se conserver soi-même. Cette tendance s’appelle appétit quand elle est accompagnée de conscience : par appétit on entend donc l’essence même de l’homme, autant qu’on se le représente déterminé à agir par une modification de son état. Si l’on considère spécialement cet appétit du côté spirituel, il porte le nom de volonté. Le plaisir naît quand cette tendance est satisfaite, le déplaisir quand elle est contrariée. Remarquons bien : c’est le passage à un état plus favorable (« plus parfait ») qui est lié au plaisir, et le passage à un état plus défavorable (« imparfait ») qui est accompagné de déplaisir. Les états eux-mêmes, étant immobiles, ne sont pas accompagnés de sentiments. Toutefois il ne se fait pas de comparaison formelle entre les états : le sentiment correspond immédiatement au changement des états.

Spinoza exprime ici ce que nous appellerions maintenant la signification biologique du sentiment, sa relation avec l’accélération ou le ralentissement de la vie ; de même qu’il a nettement vu l’importance du rapport de contraste pour la formation des sentiments (la loi de relativité dans le domaine des sentiments), il a répandu une lumière éclatante sur le troisième point principal de la psychologie des sentiments, l’importance des idées et des associations d’idées pour le développement des espèces particulières de sentiment. — De l’appétit, du plaisir et du déplaisir, il fait dériver au moyen des lois de l’association des idées les espèces particulières du sentiment. Nous aimons ce qui nous cause du plaisir, et haïssons ce qui nous cause du déplaisir. De plus nous aimons ce qui favorise ce que nous aimons, comme nous haïssons ce qui lui nuit. Et si nous nous représentons un être semblable à nous ayant un certain sentiment, nous avons involontairement nous-mêmes le même sentiment. De là peut naître la sympathie — mais aussi l’envie et l’ambition froissée, si nous désirons posséder à nous seuls ce dont un autre jouit, ou si nous désirons qu’un autre soit absolument de la même humeur que celle où nous nous trouvons nous-mêmes. — Après ces principes généraux Spinoza développe sa conception par le détail. Il fonda la théorie de l’évolution dans le domaine des sentiments en montrant que sous l’influence des idées et par