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rationnelle à la connaissance, la conception téléologique aurait empêché pour toujours la connaissance de la nature. Mais la conception téléologique n’interdit pas seulement la connaissance de la nature, elle suppose encore des idées indignes de la divinité : si Dieu agit en vue d’une fin, il n’est pas parfait, il ne le devient qu’après avoir atteint son but ! Les hommes ont le présomption d’appliquer des idées morales et esthétiques à la nature, de trouver en elle l’ordre et le désordre, la beauté et la laideur, le bien et le mal, en croyant qu’elle n’est faite que pour flatter leur sentiment. Ils ne voient pas que la perfection et le pouvoir de la nature sont identiques, et que ce pouvoir est infini, qu’il peut produire tous les degrés et toutes les formes de l’existence, les plus humbles dans notre esprit au même titre que les plus élevés.

Spinoza indique par une série de propositions physiques, dans le deuxième livre de l’Éthique, comment il se figure le développement d’une conception mécanique de la nature. — En vertu de la loi d’inertie, le mouvement ou le repos de chaque corps est déterminé par un deuxième corps, celui-ci par un troisième, etc. La façon dont un corps est déterminé dépend en partie de sa propre nature, en partie de la nature du corps agissant. — Lorsque des corps de même grandeur ou de grandeur différente sont maintenus ensemble par d’autres corps de façon à se toucher, ou qu’ils se communiquent leurs mouvements dans une certaine proportion, on dit qu’ils sont reliés réciproquement et qu’ils forment, tous ensemble un seul corps ou un seul individu, lequel se distingue des autres individus par la combinaison déterminée des corps individuels dont il se compose. Un tel individu reste identique, alors même que certaines parties sont assimilées et d’autres éliminées, même si la grandeur des parties et les sens des mouvements se modifient, pourvu que la forme d’ensemble de la combinaison reste la même. Plusieurs individus semblables peuvent être réunis en un individu de deuxième ordre, plusieurs individus de deuxième ordre en un individu de troisième ordre, etc., jusqu’à ce qu’enfin la nature entière nous apparaisse comme un seul grand individu, dont les parties isolées varient à l’infini, sans que l’individu total subisse aucune modification.