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pour expliquer un phénomène qu’on s’en tienne à l’attribut sous lequel on le considère, Spinoza a déjà établi que la conception purement mécanique de la nature est la seule scientifique. En tant qu’appartenant à l’attribut de l’étendue, tous les phénomènes matériels ne doivent être expliqués que par des causes matérielles, par des causes qui agissent d’autres points de l’espace que celui où les phénomènes se trouvent. Il est par conséquent très facile à Spinoza de démontrer la loi de l’inertie : elle est à vrai dire déjà contenue dans le fait d’établir l’étendue comme attribut. Avec le même dogmatisme que Descartes et Hobbes, Spinoza pose les principes mécaniques comme vérités éternelles, — tout en accordant qu’il ne peut faire dériver le mouvement de l’étendue elle-même[1].

Il ne peut exister entre les corps de diversité d’essence ; ils ne diffèrent que par le mouvement et le repos, par la vitesse ou la lenteur. Les lois du mouvement sont les lois éternelles de la nature et de la raison. — La théorie des attributs implique aussi le rejet de toute croyance en la finalité de la nature. Comme un attribut ne peut en déterminer un autre, les phénomènes matériels ne peuvent avoir leur raison dans une pensée, comme le suppose l’explication théologique. Dans une assez longue remarque ajoutée au livre Ier de l’Éthique, Spinoza cherche à montrer que la conception téléologique est due au besoin pratique et au désir de l’homme, à son instinct de conservation outre son ignorance originaire des causes réelles ; l’homme admet que tout est arrangé à son usage et que les dieux travaillent à cet effet ; là où il ne peut trouver de fin admissible, il se contente de trouver l’explication dans la volonté de Dieu, cet asile d’ignorance (asylum ignorantiæ) qui est toujours à notre service. Si les mathématiques n’avaient pas indiqué une voie

  1. Spinoza fait cet aveu dans la dernière lettre que nous ayions de sa main (du 15 juillet 1676), dans une réponse à Tschirnhausen, philosophe et mathématicien, qui avait demandé avec une grande sagacité comment de la notion générale de l’étendue on pouvait faire dériver la figure et le mouvement des choses corporelles. Tschirnhausen fit remarquer que cette difficulté n’existait pas pour Descartes, puisqu’il croyait que Dieu avait créé la matière en mouvement ; mais Spinoza, pour qui l’étendue est un attribut divin, ne possède pas la notion de force qui était conçue par Descartes sous une forme théologique. Spinoza déclare insuffisante la définition que la matière est étendue et annonce un plus ample examen de la question, que sa maladie ne lui permit plus.