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subsiste sous tous les changements et malgré toutes les divisions, et qui ne peut ni pâtir, ni naître ou mourir. Le côté matériel de l’existence est, tout comme le côté spirituel, une révélation de la divinité ou de la substance ; à la « faculté infinie de pensée » (potentia infinita cogitandi) de cette dernière correspond l’étendue matérielle infinie dont les phénomènes singuliers sont des parties. Le fond des choses, de quelque côté qu’on le regarde, c’est l’enchaînement de cause à effet, et l’unité qu’atteste cet enchaînement.

δ. Les phénomènes particuliers (modi) sont, ainsi que nous l’avons déjà dit, les différentes manières dont la substance se présente dans les différents attributs. Les attributs étant valables pour la substance, sont aussi valables pour les modes particuliers : voilà pourquoi tout phénomène isolé peut se considérer sous un nombre infini de faces, de même que l’existence tout entière dont il est un terme ou une partie ; seulement, nous ne connaissons pas plus de deux de ces faces. La définition du mode est : une détermination de la substance, ou : ce qui existe dans une autre chose, et qui est intelligible par cette chose. Comme affectio substantiæ le mode ne se comprend que par la substance dans laquelle il a son existence — on serait tenté de dire : comme la vague isolée n’existe que comme partie de la mer et n’est intelligible que lorsqu’on la voit comme partie de la mer. Dans tout phénomène isolé se manifeste une tendance à se conserver qui est une partie de la force divine active en toutes choses. Mais cette force ne se manifeste dans chaque mode isolé que d’une façon limitée : on ne peut donc pas comprendre de quelle façon le mode isolé agit ou pâtit, si on ne le voit pas dans son action réciproque avec tous les autres modes. L’état du mode isolé ne se comprend donc que par autre chose que lui-même. Ici entre en vigueur un rapport (transcendant) de causalité extérieure. Bien que la position réciproque des phénomènes individuels soit extérieure, ils ne sont tous ensemble et chacun en particulier que des déterminations (affectiones, modificationes, determinationes) de l’unique substance infinie. La nature naturante (natura naturans) agit en tous les points de la nature naturée (natura naturata).