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lité. Spinoza exprime que le spirituel et le matériel sont des diversités irréductibles de l’existence en disant qu’ils sont attributs et en définissant attribut ce qui exprime l’essence de la substance : car est substance ce qui existe en soi-même et se comprend de soi-même. D’un attribut on ne peut passer à un autre. « Tant que les choses, dit Spinoza, sont considérées comme des phénomènes spirituels (modi cogitandi), nous devons (debemus) expliquer l’ordre de la nature ou le rapport de cause à effet par l’attribut de l’esprit seul ; et tant que nous les considérons comme phénomènes matériels (modi extensionis), l’ordre tout entier de la nature doit être expliqué par l’attribut de l’étendue seul. » Il n’y a donc qu’une substance unique, qu’un seul enchaînement causal, mais on peut considérer cet enchaînement de deux façons. Toutefois ce ne devait guère être la pensée de Spinoza que les attributs ne fussent que des points de vue que nous appliquons aux choses61. Il dit en propres termes : est attribut ce que l’entendement conçoit comme constituant l’essence de la substance, et on ne peut démontrer que Spinoza ait douté que ce que notre entendement conçoit comme constituant, ne soit réellement constituant. S’il dit donc que nous devons expliquer le spirituel par le spirituel et le matériel par le matériel, cela est une nécessité qui pour lui comme toute nécessité est une expression de l’essence éternelle de l’existence.

Quelqu’un demandera peut-être comment il se fait à vrai dire que l’on ne puisse expliquer le côté spirituel de l’existence par le côté matériel et le côté matériel par le côté spirituel ; la réponse à cette question est contenue dans l’idéal qu’a établi Spinoza de l’explication par la causalité : la cause et l’effet doivent être de même espèce (4e et 5e axiomes du livre Ier de l’Éthique). Spinoza dit encore plus nettement dans une lettre (Ep. 4, dans l’édition Land et van Vloten) : Si deux choses n’ont rien de commun, l’une ne peut pas être la cause de l’autre ; car tout ce qui serait dans l’effet sans être contenu dans la cause serait formé du néant. Si l’on garde logiquement ce principe sous les yeux, on aura la clef du système entier de Spinoza. De ce principe découle en effet la doctrine de Dieu ou de la substance considérée