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de tendances d’esprit différentes. L’étude de cette correspondance offre un intérêt considérable pour qui veut comprendre Spinoza et ses pensées, ainsi que l’état d’esprit qui régnait à cette époque. Il avait plusieurs amis à Leyde, la ville universitaire voisine. C’est ainsi qu’il noua des relation d’amitié avec Niels Stensen (Nicolas Steno), savant naturaliste danois, qui étudiait à cette époque à Leyde. Plus tard, après sa conversion au catholicisme, Stensen adressa dans une missive (Epistola ad novæ philosophiæ reformatorem) l’invitation à Spinoza, qu’il appelle son ancien ami, son ami intime (admodum familiaris), de le suivre dans le giron de l’Église hors de laquelle il n’y a pas de salut. A.-D. Jörgensen, archiviste royal danois, biographe de Niels Stensen, explique le silence gardé par Spinoza vis-à-vis de l’invitation de son ancien ami en disant : « L’inquiet esprit de charité propre au christianisme poussa Steno à tenter de faire partager par son ami le bonheur de cet esprit ; l’indifférence infinie de la philosophie pour les désirs et les soucis de la personnalité individuelle fit comprendre à Spinoza que cet homme était perdu sans retour pour la connaissance de la vérité et que le silence était la réponse qui convenait à son apostrophe. » Je crois que l’excellent historien (qui a le premier dégagé les intéressants rapports de Steno et de Spinoza) est ici fort injuste envers Spinoza ainsi qu’envers la philosophie. J’ai un grand respect pour la figure de Steno, pour sa personnalité religieuse aussi bien que pour son individualité scientifique. Mais cela ne m’empêche pas de croire que quelque noble que soit le nom pris par cette propagande, l’esprit de charité (à supposer qu’il soit toujours intéressé là-dedans) n’est pas le seul ressort qui soit en action ; en tous cas, cet esprit de charité n’empêchait pas Steno, comme tant d’autres, de se réjouir d’une félicité, dont, à ce qu’ils croyaient savoir, un très grand nombre seraient exclus. Il est en tous cas injuste de refuser à Spinoza l’esprit de charité parce qu’il ne voulait pas imposer ses idées aux autres. Sa foi, pleine d’amour, avait pour objet l’homme et il trouvait l’humanité sous des formes confessionnelles très différentes. Un témoin impartial, le pasteur Colerus, rapporte tout l’intérêt qu’il portait à autrui ; il consolait ou égayait ses voisins quand ils étaient frappés par le chagrin ou par la