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rabbinique, chaque rabbin débutant devant apprendre un métier. Ses amis de la ville venaient chercher ses verres et les vendaient pour lui. Il semble qu’il se soit déjà formé alors un cercle de jeunes gens autour de lui et de ses pensées. C’est à cette époque que fut composé son ouvrage De Dieu et de l’homme (le court traité) et peut-être la première esquisse du Traité théologico-politique qui parut plus tard. Spinoza se détourna avec indignation du fanatisme des confréries des Églises positives. Il vit avec un sentiment de plus en plus profond et une intelligence de plus en plus complète de lui-même quelle était la tâche de sa vie, à savoir de former par son seul secours un ordre de pensées capables de jeter une vive lumière sur la nature de l’homme et sur la place qu’il occupe dans l’existence. L’expérience lui avait appris (ainsi qu’il dit au commencement du traité inachevé De la Réforme de l’entendement) que ni la richesse, ni la jouissance sensuelle, ni les honneurs ne peuvent être pour l’homme un vrai bien, que la seule chose capable de remplir sans cesse l’esprit d’une satisfaction nouvelle, c’est la recherche constante de la connaissance, qui attache l’âme à ce qui subsiste, alors que tout le reste change. La pensée de Spinoza avait un mobile nettement personnel et pratique — bien qu’elle ait revêtu des formes spéculatives et abstraites, et qu’elle ait pu s’écarter en apparence de l’ordinaire de la vie humaine. La clarté complète de l’intelligence était pour lui un besoin vital.

En 1661 il alla habiter Rhynsburg, petite ville des environs de Leyde. C’est là qu’il commença à composer son célèbre chef-d’œuvre. Il en fait mention dans les lettres à ses amis (notamment à Oldenburg et à Vries). Il y eut de bonne heure des copies de la partie de l’ouvrage qui était rédigée, et de jeunes amis de Spinoza, habitant Amsterdam, pour la plupart médecins, lisaient le livre en commun, et dans les cas douteux s’adressaient au maître pour avoir des éclaircissements. Sa vie n’était pas aussi solitaire qu’on l’a souvent dépeinte. Sa correspondance, que l’on a appris seulement à connaître de plus près, après la découverte faite du Court Traité il y a une quarantaine d’années, nous le montre en contact avec un groupe qui n’est certes pas insignifiant, d’hommes de conditions et