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premiers, en s’autorisant de la liberté plus grande que confère l’âge. Cette façon de s’occuper du moi, où l’on suit le cours de ses propres pensées et où l’on se berce dans ses propres états d’âme, est un trait moderne ; il prouve que l’individu s’est affranchi des hypothèses traditionnelles et qu’il peut, sans se soucier d’aucune autorité, s’abandonner aux courants de sa propre nature et se laisser guider par eux.

Remarquable est également sa lecture, surtout dans la littérature de l’antiquité. Ses écrits abondent en citations, et pour éclairer les opinions, les sentiments et les appétits humains, il allègue une grande quantité de traits caractéristiques. Il a appliqué la méthode comparée au domaine de l’esprit avec plus d’extension encore que Machiavel, et non pas seulement, comme on l’a souvent cru, pour tirer des conséquences sceptiques de la divergence des caractères, des conceptions et des tendances mises en relief. Il s’intéresse aux nuances individuelles, tout en ressentant la joie de l’humaniste à traiter une abondante matière. Le spectacle du monde immense des phénomènes de l’esprit captive son âme, et non pas seulement la différence ou le conflit intérieur qu’ils peuvent présenter.

Certes, l’individualisme aussi bien que l’humanisme devaient le rendre hostile à tout essai d’imposer et de réaliser dogmatiquement une doctrine générale unique. Il s’attaque aussi bien au dogmatisme théologique qu’au dogmatisme philosophique (surtout, II, 12). Si nous croyions très sérieusement au surnaturel — dit-il aux orthodoxes —, « si le rayon de la divinité nous touchait aucunement », notre vie aurait un tout autre aspect. Tout se conformerait aux exigences sacrées, et les guerres de religion, avec leurs passions vulgaires, n’auraient pu nous diviser. Ce qui nous guide, ce n’est donc pas tant des facultés divines que la tradition et la coutume, si tant est que les passions ne déterminent pas notre foi. Dans les guerres de religion, la cause de Dieu n’aurait pu, à elle seule, lever une seule compagnie. Et abstraction faite des influences en cours, il est clair que notre représentation ne peut rien concevoir qui soit tout à fait au delà des limites de notre être. Nous pouvons nous figurer nos propres qualités élevées ou amoindries, mais les dépasser, nous ne le pouvons pas. En outre, tout être s’intéresse