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spirituel, œuvre où la diversité et l’individualité des phénomènes pouvaient être pleinement reconnues, tandis que dans l’unité, dans l’ordre universel qui embrasse tout, il voyait la force qui au fond supporte tout et qui est active en tout. Et cette œuvre n’était pas pour lui un travail purement théorique ; c’était pour lui la satisfaction d’un besoin personnel de clarté et d’intelligence de soi-même, et elle lui procura l’heureux fond d’humeur qu’il acquit en se tirant par son propre effort de l’inquiétude et des ténèbres de l’existence pour s’élever à l’intelligence des lois éternelles. C’est ce qui fait de son chef-d’œuvre (l’Éthique) une œuvre d’art, et non pas une simple œuvre spéculative. On en a justement comparé les cinq livres à un drame en cinq actes. Cette comparaison peut se pousser dans le détail. Dans le livre premier, il donne les propositions les plus générales qui déroulent aux yeux un arrière-plan vaste, infini de la vie humaine. Dans le livre deuxième, il insère une série de propositions préparatoires, empruntées à la science de la nature, au moyen desquelles il établit la conception rigoureusement mécanique de la nature ; puis suit un examen de la connaissance humaine. La dernière partie du deuxième livre présente une conclusion provisoire, et, d’après une conjecture qui n’est pas dénuée de fondement, les deux premiers livres formaient primitivement un tout indépendant. La perspective apparaît d’atteindre le but que Spinoza s’était fixé, la connaissance des rapports de notre esprit avec la nature tout entière. Dans cette connaissance il voyait (d’après un fragment autobiographique) le seul bien étroitement lié à sa personnalité, celui que les circonstances extérieures ne pouvaient lui ravir. Mais ce qui l’empêche de donner une conclusion aussi prématurée à son drame, c’est un nuage qui apparaît à l’horizon : la vraie connaissance est déçue non seulement par le vide de la pensée et par de fausses associations d’idées, mais encore et surtout par les sentiments et par les passions qui nous bouleversent. Voilà une résistance nouvelle et sérieuse à vaincre, et pour la vaincre, il faut avant tout la connaître. Spinoza donne alors dans le livre troisième une magistrale histoire naturelle des sentiments. Il montre les rapports des sentiments avec la tendance à la conservation de soi, et comment ils se transforment sous l’influence des