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pour critiquer ensuite les petites autorités qui ont pris la place des grandes. Ce sont les premières qu’il vise à vrai dire. Cela explique son étrange attitude.

Hobbes partage le goût de l’unité, de la concentration et de la résignation qui est particulier au xviie siècle ; ce goût s’exprime en philosophie non seulement dans sa politique, mais prend encore des formes analogues dans le mysticisme de Fénelon et de Malebranche et dans le panthéisme de Spinoza. Hobbes a rendu des services à la politique en établissant que dans un État il ne peut y avoir qu’un centre de gravité. Mais il se méprend sur ce centre de gravité ; toutes les forces autres que celles de la pesanteur disparaissent à ses yeux et logiquement toutes les masses se réunissent alors au centre. La puissance et l’obéissance sont tout pour lui. Le fond involontaire de la vie, les mœurs et les coutumes, l’opinion publique, les voies silencieuses et cachées par lesquelles les détenteurs du pouvoir eux-mêmes dépendent des sentiments qui remuent la multitude ; toute la floraison de la vie, que l’État a le devoir de protéger et d’entretenir et à laquelle il doit consacrer toutes ses forces — tout cela a échappé à l’attention de Hobbes. Son regard est captivé par ce seul point de vue. Sa pensée s’exprime en style lapidaire ; les nuances délicates se dérobent à ses yeux. Mais il comprend d’autant mieux les grandes conditions élémentaires et vitales de la société humaine. Il appartient au côté de l’esprit anglais d’où sont sortis Malthus et Darwin, qui peuvent être considérés tous deux comme des continuateurs de la pensée de Hobbes.

Cependant on trouve chez lui, comme il a été mentionné, des indications qui ouvrent un horizon plus large.

Il résume le devoir du gouvernant dans ce principe : le bien du peuple est la loi suprême. L’État n’a pas été créé pour les dirigeants, mais pour les citoyens. Le despotisme que préconise Hobbes est celui qui apparaît chez les politiciens éclairés et réformateurs du xviiie siècle (Frédéric II, Joseph II). C’est un adversaire acharné, non seulement de la hiérarchie sous toutes ses formes, mais aussi de toute domination, quelle qu’elle soit, des classes dirigeantes, comme on en trouve même dans des pays « libres ». Par le centre absolu de gravité qu’il établit il