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quand nous voyons faire des progrès à quelqu’un à qui nous voulons du mal, l’amour, quand nous venons en aide à un autre pendant la course, le sentiment du bonheur, quand nous gagnons sans cesse sur ceux qui nous précédaient, le sentiment du malheur, quand nous restons toujours en arrière, — et la course ne finit qu’à la mort ! Tant que nous vivons nous nous fixons des buts et nous ressentons une aspiration. Tout sentiment de plaisir est lié à l’aspiration vers un but. Supposons qu’un but suprême soit fixé et atteint, non seulement toute aspiration cesserait, mais tout sentiment disparaîtrait. Car la vie est un mouvement incessant ; il ne peut pas aller tout droit, il se meut en cercle !

Dans l’examen détaillé qu’il fait de la compassion et de l’amour, Hobbes ramène ces sentiments à l’instinct de conservation personnelle et au sentiment de puissance. La pitié tient à ce que, à la vue du malheur d’autrui, nous pensons à notre propre malheur possible ; l’amour consiste dans le sentiment de la puissance que l’on a en propre quand on peut aider autrui. La joie de la connaissance est également une espèce de sentiment de puissance, tout comme la joie que donne la richesse et le rang ; seulement la science donne très peu de puissance, car il y a si peu de gens qui la comprennent. Toutefois Hobbes croit aussi à l’existence d’une joie venant de la connaissance, ce qui est illogique. — La cruauté, déclare-t-il, c’est le mépris de la douleur et du chagrin d’autrui : elle provient de la certitude qu’on est soi-même en sûreté ; Hobbes croit par contre qu’il est impossible que quelqu’un puisse éprouver une joie immédiate au spectacle des souffrances d’autrui, s’il n’en retire quelque avantage. En expliquant les sentiments par l’instinct de conservation personnelle, Hobbes donne une théorie artificielle dans les détails et incomplète. Cependant il a toujours un terrain solide et naturel sous les pieds, lorsqu’il voit l’origine et le motif des sentiments dans la lutte pour l’existence et pour le succès. On ne trouve pas chez lui le raffinement de La Rochefoucauld, son contemporain, qui dans ses « Maximes » où il déposa les « expériences » qu’il fit pendant la Fronde et dans les salons, glisse de parti-pris sous chaque sentiment une arrière-pensée consciente. Hobbes a le