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elle ignore même si ce monde a une origine. La connaissance des premières choses, les prémisses de la sagesse (primitiæ sapientiæ) sont réservées aux théologiens, de même qu’en Israël les prémisses de la récolte étaient offertes aux prêtres. Ainsi s’exprime Hobbes dans le De corpore (cap. 26, 1). Il dit en outre que nous ne pouvons pas arrêter la suite des causes de façon à savoir d’une façon précise qu’elle ne peut se continuer au-delà. Alors même que nous admettrions une cause première, elle ne pourrait pas ne pas être en mouvement, car rien ne peut être mis en mouvement par quelque chose qui n’est pas lui-même en mouvement ; où que nous nous arrêtions, nous nous trouvons donc en présence d’une chose qui est éternellement en mouvement. Mais en soi l’idée que le monde n’a pas de commencement ne renferme absolument aucune contradiction. Voilà pourquoi, dit Hobbes, je ne puis approuver ceux qui se vantent d’avoir démontré avec le secours des raisons naturelles que le monde a une origine. — La façon dont Hobbes s’exprime dans ses ouvrages politiques (De cive, cap. 14-16 et Leviathan, cap. 11-12) offre un contraste remarquable avec cette assertion. Il reconnaît bien l’impossibilité de comprendre Dieu, mais il ne fait aucune difficulté pour conclure a posteriori du monde à Dieu : en remontant toujours, nous finirons nécessairement par aboutir à une cause éternelle, qui n’a pas à son tour de cause ! Toutefois ce ne sont pas tant des raisons théoriques, que des raisons pratiques qui mènent à la religion naturelle ; l’homme prête obéissance à Dieu à cause de sa faiblesse et de sa dépendance. — Ce contraste est d’autant plus frappant qu’on ne peut l’expliquer en disant que les écrits politiques sont antérieurs au De corpore. Car dans les objections à Descartes qui ont été rédigées presque en même temps que le De cive, il soutient en propres termes que la création du monde ne peut se prouver. On ne peut guère se l’expliquer qu’en disant que dans ses écrits politiques Hobbes a attribué pour des motifs d’ordre pratique aux preuves de raison plus d’importance qu’ils ne devaient équitablement avoir. — Mais il soutient toujours que nous ne pouvons nous faire aucune idée de Dieu. Il est ici de nous comme de l’aveugle qui se chauffe au feu ; il ne peut se faire une idée de la cause de la