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que la plupart des hommes, dans l’espoir qu’ils ont d’aller au paradis, préfèrent supporter les injures plutôt que de châtier (Discours, II, 2). Machiavel ajoute sans doute que c’est là une fausse interprétation du christianisme, due à la lâcheté humaine ; mais il ne pense guère à retirer en même temps toute sa comparaison de la morale antique avec la morale chrétienne, et l’on voit assez de quel côté penchent ses sympathies personnelles. Pour lui, la religion est essentiellement un moyen entre les mains du législateur, qui en a besoin pour appuyer les lois. Le sage prévoit beaucoup de choses que la foule ne soupçonne pas et ne veut pas croire, et puis il faut que les dieux viennent s’associer pour sanctionner les lois nécessaires. C’est ce qu’atteste l’histoire de Lycurgue et de Solon, et Savonarole n’a eu tant d’influence sur ses compatriotes que parce que l’on croyait, à tort ou à raison, qu’il était en commerce immédiat avec Dieu. La religion est une base solide, servant principalement au maintien de l’unité et à la conservation des bonnes mœurs du peuple. Les institutions religieuses de Numa ont fondé en majeure partie la force et la grandeur de l’empire romain, et tout prince intelligent doit protéger la religion nationale, même s’il la tient personnellement pour une erreur. (Discours, I,11-12).

Machiavel ne sent pas que la religion est une force spirituelle, qui se développe conformément à ses propres lois involontaires, et que, pour cette raison, elle n’est pas toujours sans façon à la merci ou à la disposition de la politique. En somme, il s’abandonne trop à des calculs subtils, aux interventions arbitraires et à l’uniformité des situations, et il ne voit pas que souvent, dans l’histoire, le grandiose vient soudain jaillir comme un fleuve de sources jusque-là invisibles. Assurément il met lui-même en relief la variété des grands événements imprévus dont son siècle fut témoin, et qui pourraient faire croire que « Dieu et le Destin » mènent tout. Mais il ne pense pas pour cela que la volonté humaine soit impuissante. Il n’y a peut-être rien à faire sur le moment contre l’invasion des grandes eaux soulevées par la tempête ; mais une fois la tourmente passée, nous pouvons creuser des canaux et bâtir des digues, afin que la prochaine fois la dévastation soit moins considérable. Car le