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mais pourquoi n’en douterions-nous pas ? Nous connaissons la pensée absolument de la même manière que nous connaissons toute autre chose : en tournant notre attention sur elle — c’est-à-dire par une nouvelle pensée. Voilà pourquoi on n’aboutit pas à un commencement absolu. Le « Cogito, ergo sum » de Descartes est un syllogisme dont la légitimité peut être mise en doute, et sa preuve de l’existence de Dieu s’évanouit quand on reconnaît que l’existence n’est pas une propriété. L’autorité de la tradition et de l’Église peuvent seules donner une base à la connaissance, et Huet, le savant humaniste, qui se formalisait du mépris professé par les Cartésiens pour les anciens, cherche pour cette raison à montrer que les religions et les systèmes philosophiques de l’antiquité sont dus à une tradition issue du peuple juif.

Pierre Bayle (1647-1706) avait pris connaissance du Cartésianisme à Genève pendant ses années d’études. Ce système supplanta alors en lui la philosophie scolastique qu’il avait cultivée dans un collège de jésuites. Il admirait en particulier l’exigence cartésienne d’employer des idées claires et distinctes et de ramener les questions complexes à des principes simples et immédiatement évidents. Plus tard, professeur aux Universités de Sedan et de Rotterdam, il critiqua dans ses cours plusieurs thèses du Cartésianisme. À vrai dire, c’était plutôt un savant et un homme de lettres qu’un philosophe ; il s’intéressait à la diversité confuse des manifestations littéraires et des vues spéculatives, et le besoin d’idées claires et distinctes le poussa à saisir en des formules piquantes la diversité des points de vue, à mettre nettement en relief les aspérités des problèmes et à découvrir le caractère illusoire des solutions. Dans sa magistrale caractéristique de Bayle, Ludwig Feuerbach montre que Bayle n’était nullement un sceptique systématique, mais que la difficulté et la diversité des différents problèmes firent naître en lui le doute. La philosophie était pour lui essentiellement critique, son importance était plus négative que positive. Les résultats auxquels il aboutit sont en opposition marquée avec ceux de la théologie. Bayle le démontre à propos d’un dogme isolé (celui de la chute), en posant une série de principes théologiques et philosophiques