Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enseigne qu’il n’est qu’un seul Dieu, ainsi la vraie philosophie enseigne qu’il n’est qu’une seule cause.

Notre connaissance ne peut donc s’expliquer que parce que nous dépendons de Dieu dans toutes nos pensées. Dieu est en relation immédiate avec chaque esprit ; il est « le lieu des esprits ». En vertu de cette liaison avec Dieu, créateur de toutes choses, notre esprit voit les choses créées : les idées doivent en être en Dieu, sans quoi il n’aurait pu les créer. Au sens propre, toutes les idées particulières que nous avons ne sont que des limitations de l’idée de Dieu, Être infini. Tout acte de pensée est la détermination précise d’une idée indéterminée de l’Être, dont nous ne pouvons jamais nous défaire. Semblablement toutes nos aspirations ne sont à vrai dire qu’une aspiration vers Dieu ; en l’union avec lui réside seul le vrai bonheur, et c’est lui qui éveille en nous le besoin de bonheur ; mais souvent nous nous en tenons à un bien fini, borné, que nous considérons comme le souverain bien — de même que nous considérons les êtres finis comme les vraies causes. L’éthique de Malebranche offre ainsi une analogie complète avec sa théorie de la connaissance.

La doctrine de Malebranche, à savoir que nous voyons toutes choses en Dieu, renferme une difficulté ; on se pose cette question : pourquoi est-il nécessaire après tout de croire à un monde réel, matériel ? D’après Malebranche, notre connaissance de la nature s’explique en effet complètement par l’action de Dieu sur nous, et le monde réel de la matière n’est absolument pas nécessaire : l’idée qui en est en Dieu (l’étendue intelligible, ainsi que l’appelle Malebranche) suffit. On raconte que Berkeley fit cette objection à Malebranche, lorsqu’il alla le voir, peu de temps avant sa mort. La même objection se retrouve dans la correspondance que le mathématicien Mairan, ancien élève de Malebranche, entretenait avec lui. Mairan pose à Malebranche cette alternative : ou bien l’étendue matérielle n’existe pas (car d’après Malebranche elle n’est pas nécessaire pour expliquer la connaissance que nous en avons), ou bien l’étendue matérielle, ainsi que l’enseignait Spinoza, fait elle-même partie de l’essence de Dieu (et alors nous voyons en Dieu non plus seulement l’étendue intelligible,