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peut faire naître en moi des sensations et des idées, c’est l’effet d’une institution divine (nulla vi sua, sed instituto quodam decretoque divino).

Cette façon forte d’accentuer la diversité et l’isolement des êtres particuliers fait nettement ressortir le problème de causalité, qui traite la possibilité d’une transition et d’un enchaînement entre eux. En concevant la volonté divine comme le pouvoir unitaire qui embrasse tous les êtres particuliers et est actif en eux, on fait par là-même entendre que le problème est absolument insoluble, si derrière toutes les diversités on ne croit à l’unité de l’existence, à une continuité qui s’étend au travers et au delà de toutes ces diversités. En disant enfin que ce n’est pas le mouvement lui-même, mais un élément déposé en lui ou combiné avec lui qui peut produire les états psychiques, on esquisse du problème de l’âme et du corps une solution plus profonde que la solution cartésienne. Il est vrai que tout cela ressort chez Geulincx sous une forme théologique ou mythologique qui nuit à la clarté et à la perfection logique de la pensée. Sa philosophie n’en offre pas moins un grand intérêt dû à l’énergie avec laquelle il souligne l’impossibilité de séparer l’activité de la substance d’une chose.

Geulincx tire lui-même de sa doctrine cette conséquence éthique que, en face du monde ou plutôt de Dieu, nous sommes comme des spectateurs. Car le monde ne peut pas engendrer en moi d’image du monde ; Dieu seul a ce pouvoir ; voilà pourquoi en ma qualité de spectateur des phénomènes du monde je suis un prodige de tous les instants. Nous sommes absolument dépendants de la volonté de Dieu. Le principe suprême de l’éthique sera dès lors : où je ne puis rien faire, je ne dois rien vouloir non plus (ibi nihil vales, ibi nihil velis) ! La vertu principale sera donc pour l’éthique de Geulincx l’humilité. Contraste caractéristique avec la générosité de Descartes, de Telesio et de Campanella ! L’énergique affirmation de soi de la Renaissance a fait place à sa contrepartie. Je n’ai de droits sur rien, dit Geulincx, pas même sur moi-même. Impossible donc de me proposer pour tâche la réalisation de mon bonheur ; on peut seulement me demander de faire mon devoir. Mais c’est peut-être la meilleure façon de