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bien agir. L’examen de soi-même (inspectio sui) est la base de l’Éthique. J’apprendrai ainsi que seules ma pensée et ma volonté m’appartiennent, et que mon corps fait au contraire partie du monde matériel. Dans le monde de la matière je n’ai rien créé et ne puis rien créer. De quel droit en effet prétendrais-je créer quelque chose, si j’en ignore complètement le mode de formation ? Et encore : mon activité ne peut dépasser la limite de mon être, ne peut se déverser sur d’autres choses. Ma volonté n’a de portée que pour mon âme propre. Les choses ne peuvent de même agir les unes sur les autres ou sur moi. Comment l’action d’une chose, qui en est le propre état interne, peut-elle prendre de la portée pour d’autres choses ? Elle ignore elle-même comment la modification se produit en dehors d’elle ; son état interne ne s’étend pas aux autres choses ! — Si tu crois mouvoir toi-même tes membres, tout en ignorant comment cela se fait, tu pourrais tout aussi bien croire que tu as composé l’Iliade, ou bien que tu fais passer le soleil au-dessous du ciel ; l’enfant au berceau aurait autant de raison de s’imaginer que sa volonté met directement le berceau en mouvement, quand sa mère accomplit son désir d’être bercé. Si ma volonté et mon activité s’exercent au delà de mon être propre, il faut que la Divinité, la seule cause vraie et réelle, intervienne. Les êtres finis ne sont que des occasions, ou des instruments de l’activité divine. Celui qui a imprimé le mouvement à la matière et lui a donné des lois, a aussi formé ma volonté et l’a reliée avec le corps matériel, de façon à faire correspondre la volonté et le mouvement ainsi que deux horloges qui ont la même marche et sonnent en même temps, non parce que l’une agit sur l’autre, mais parce qu’elles viennent du même fabricant. Cette image qui a déjà été employée par Cordemoy et est devenue classique dans la discussion des rapports de l’âme et du corps, n’est pas aussi juste que celle dont Geulincx se sert dans ses Annotata majora in principia Cartesii. Si pour de l’argent je puis me procurer des aliments et des vêtements, cela n’est pas dû à la vertu naturelle du métal ; sa valeur tient en effet à une institution humaine (ex hominum instituto, quo valor iste ei consignatus est) ; de même, ce n’est pas le mouvement matériel qui