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Le Cartésianisme trouva aussi beaucoup d’adhérents parmi les savants prêtres de l’Oratoire. Il se répandit dans de grands cercles à Paris et en province au moyen de conférences populaires. On peut voir par les lettres de Mme de Sévigné quel intérêt il excitait dans la haute aristocratie, même chez les femmes. Il se propagea considérablement en Hollande grâce à plusieurs jeunes professeurs d’Université qui prirent parti pour lui. Mais en France comme en Hollande, il se heurta à une violente résistance. Les Jésuites et le clergé protestant orthodoxe cherchèrent à l’étouffer par tous les moyens. La philosophie nouvelle faisait trop de concessions à la libre raison humaine, et accordait au doute une importance dangereuse. Elle enseignait la subjectivité des qualités sensibles, ce qui ne paraissait pas tout d’abord conciliable avec le dogme de la Cène (surtout sous sa forme catholique) ; elle croyait en outre au mouvement de la terre et à l’infini de l’univers. La cause de la théologie semblait attachée à l’ancienne doctrine scolastique. Le Cartésianisme fut interdit dans plusieurs Universités de Hollande ; du moins les Cartésiens furent-ils tenus à l’écart des chaires de théologie et des charges de pasteur. À Rome, les œuvres de Descartes furent inscrites en 1663 sur la liste des livres interdits et en France des décrets royaux défendirent à plusieurs reprises d’exposer le Cartésianisme dans les Universités. Tout cela ne put l’empêcher de devenir la philosophie dominante, et sa puissance ne finit qu’avec la tendance venue de Locke et de Newton, tendance qu’il avait du reste lui-même préparée.

Les difficultés et les contradictions de la doctrine de Descartes devaient nécessairement mener les Cartésiens plus indépendants à développer en un sens nouveau les pensées du maître. Dans la partie dogmatique du système de Descartes, il y avait en particulier deux points qui devaient appeler l’examen. C’étaient d’abord les rapports de la substance absolue, qui a une telle importance pour la théorie de la connaissance, pour la physique et l’éthique de Descartes, avec les substances finies, le monde fini d’une façon générale. Comment un être absolu peut-il avoir en dehors de lui un monde fini, et quelle réalité peut posséder ce monde fini ? Ce problème devait s’imposer notamment dans un siècle porté au mysticisme et enclin à croire en