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penser à l’autre. Les rapports deviennent incompréhensibles, et Descartes l’avoue lui-même. Qui ne philosophe jamais, dit-il dans une lettre, ne doute pas que l’âme et le corps ne réagissent l’un sur l’autre et ne forment un être unique ; mais philosophiquement il est impossible de penser en même temps la différence et la liaison entre l’âme et le corps. Aucun raisonnement et aucune comparaison, dit-il ailleurs, ne peuvent nous apprendre comment la conscience qui est incorporelle, peut mettre le corps en mouvement ; mais une expérience sûre et évidente nous l’apprend tous les jours ; c’est une de ces choses qu’il faut comprendre d’elles-mêmes et qui deviennent obscures quand nous les comparons à d’autres choses. — Descartes parle ici comme s’il avait vu comment l’âme heurte la glande pinéale et la glande pinéale heurte à son tour l’âme ! Or la difficulté du problème consiste précisément en ce que l’expérience immédiate ne peut trancher la question : le raisonnement et la comparaison sont la seule ressource que nous ayions pour obtenir une hypothèse intelligible et exempte de contradiction.

On croit couramment que le dualisme médiéval passe dans la théorie de Descartes de l’âme et du corps. Mais ce qui proprement a mené Descartes à sa théorie, c’est sa tendance à former des idées claires et distinctes. De l’indépendance réciproque des idées il conclut à l’indépendance réciproque des substances correspondantes. Son grand mérite est d’avoir clairement et nettement caractérisé la différence qui sépare les phénomènes spirituels des phénomènes matériels ; mais c’est aussi cette différence qui l’induit en erreur. En dogmatique qu’il est, il croit à la perfection achevée de ses idées et à leur accord psychologique avec l’existence. Descartes développe à outrance le dualisme que nous avons rencontré chez Telesio, Bacon, et Campanella — et par là il a beaucoup contribué à le faire dépasser. Il a formulé si nettement la métaphysique populaire de l’âme et du corps que les difficultés et les contradictions y font nettement saillie. — Gassendi et Arnauld lui objectèrent avec raison que de ce que la conscience et l’étendue sont les propriétés principales de l’âme et du corps on ne peut conclure que tout est dit sur leur essence. Ils touchaient ainsi du doigt le point faible de la théorie de Descartes. —