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Prince », a souvent fait porter sur lui des jugements extrêmement injustes. Et cette même contradiction fut la destinée de sa vie, pour ne pas dire sa faute. Lorsqu’après la prise de Rome par les Impériaux, en 1527, les Médicis furent chassés, ses compatriotes ne voulurent pas accepter ses services après le rétablissement de la libre constitution, parce qu’ils le considéraient comme un transfuge. C’est ce qui aigrit la dernière année de sa vie. Un de ses contemporains, peu suspect du reste de sympathie pour lui, dit après sa mort « Je crois que sa propre situation le fit souffrir, car il aimait la liberté vraiment et au delà de l’ordinaire. Mais il se tourmentait de s’être commis avec le pape Clément. » Il mourut en 1527.

Pareille à un courant souterrain circule dans l’œuvre de Machiavel la comparaison continue de la morale antique avec la morale chrétienne. Il s’est proposé dans les Discours la tâche d’établir un parallèle entre « les événements antiques et les événements modernes », mais là même où il ne fait pas expressément cette comparaison, on la sent dans la conception et dans l’exposition. Il ne se contente pas de raconter et de décrire ; il veut découvrir les raisons de la différence entre le monde antique et le monde moderne, et cela, il ne le peut pas sans revenir au grand contraste qu’offre la conception de la vie dans l’antiquité et au Moyen Âge. Voilà pourquoi Machiavel est le représentant le plus conscient et le plus marqué du contraste avec le Moyen Âge.

Au Moyen Âge, c’était la tâche de l’État que de faire parvenir l’homme à son but le plus élevé, la béatitude dans l’autre monde. Le prince devait s’y employer, non pas en personne, mais indirectement tout au moins, en prenant soin du maintien de la paix. Tel est le sens de la conception de l’État de Thomas d’Aquin. Pour Machiavel au contraire l’État national possède en lui-même sa fin. Sa force et son intégrité au dedans, sa puissance et son extension au dehors, tout dépend de là. Et il ne pense pas à un État idéal, mais à des États précis, vraiment donnés. « Ayant l’intention, dit-il (le Prince, chap. xv), d’écrire des choses qui puissent profiter à mes lecteurs, je crois préférable de m’en tenir à la réalité plutôt que de m’abandonner à de vaines spéculations. Beaucoup de