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chose ou être. Est substance ce qui possède certaines qualités. Des qualités nous concluons à une substance. En ce sens (possesseur de qualités) un être fini peut très bien être substance. — Il est évident que si les deux sens du mot ne sont pas nettement tranchés, ils produiront l’obscurité. Mais Descartes conçoit aussi l’âme et le corps comme substances dans le sens d’être absolument indépendants. De même qu’il applique alors le strict concept de substance à des êtres finis, de même il applique le concept large de substance à l’Être infini : cette notion renferme en effet toute la réalité et la perfection possibles — c’est-à-dire toutes les qualités possibles ! Voilà pourquoi ce fut une critique qui entama profondément le système de Descartes, lorsque Hobbes et Gassendi lui objectèrent que nous n’avons absolument aucune notion positive de la substance en tant que support des qualités, puisque nous ne connaissons que des qualités (accidences, attributs — nous dirions maintenant des phénomènes). Descartes accorda que nous ne percevons pas immédiatement la substance, et que nous la déduisons des qualités ; mais il prétend que nous pouvons la penser, bien que nous ne puissions nous en faire une image46. Ici encore il y avait un problème qui prit une grande importance dans la philosophie postérieure. —

Par le principe de causalité Descartes fut amené à admettre l’existence de Dieu. Mais on serait porté à croire que ce même principe fait dépasser la notion de Dieu : car Dieu ne doit-il pas avoir une cause ? Descartes cherche à échapper à cette difficulté en distinguant ce qui a sa cause en dehors de soi de ce qui a sa cause en soi-même. Dieu doit être par rapport à lui-même ce qu’est la cause à l’effet, donc la cause de soi-même (causa sui). En tant qu’Être infini, Dieu possède une force inépuisable, en sorte qu’il n’a besoin de rien autre que de lui-même pour exister. De cette façon se nouent étroitement les notions de substance et de cause de soi-même. Antoine Arnauld, le grand théologien janséniste, qui par la suite devint ardent Cartésien, objecta que la notion « cause de soi-même » se contredisait elle-même, et en tous cas, qu’elle ne pouvait être appliquée à Dieu. Car, dit-il, personne ne peut donner ce qu’il n’a pas et si quelqu’un venait à se créer