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réclamait l’imitation. Quoiqu’il fut poète et fréquentât des poètes, et qu’il eût lui-même passablement du jouisseur effrené, la Renaissance esthétique n’était pas suffisante à ses yeux, pas plus qu’il ne s’accommodait de l’Évangile de la jouissance. Ce qu’il demandait, c’était la Renaissance de la force et de la grandeur. « Quand je considère, dit-il dans l’introduction au Livre premier des Discours, que l’antiquité inspire à tous les hommes un respect tel qu’on paie par exemple au poids de l’or un fragment de statue antique, afin de l’avoir constamment sous les yeux comme ornement d’intérieur et comme modèle pour les artistes ; quand je vois d’autre part les exploits admirables accomplis, au dire de l’histoire, dans les États anciens par les princes, les généraux, les citoyens, les législateurs et par tous ceux qui travaillèrent à la grandeur de leur patrie, exciter une froide admiration plutôt que l’envie de les imiter ; quand il me semble même que chacun évite tout ce qui pourrait en rappeler le souvenir, en sorte qu’il ne nous reste plus la moindre trace de la vertu antique, comment faire autrement que de m’en étonner et de m’en plaindre ». Dans ses idées les plus élevées, il est parent du grand génie qui se manifeste dans les œuvres les plus remarquables de Michel-Ange. Mais ce fut la tragique destinée de sa vie, que les grandes fins dussent si souvent s’effacer devant la multitude des moyens. Il était pénétré de cette pensée qu’il ne sert à rien d’avoir un but, si noble soit-il, si l’on ne possède pas les énergiques moyens de l’atteindre, au point que les moyens lui firent oublier la fin, ou qu’il omit d’examiner si les moyens qu’il admirait, agiraient réellement et de façon continue en vue des grandes fins, qui sans aucun doute étaient pour lui lebut le plus élevé. Il fut si captivé par la force des moyens qu’il finit par leur accorder de la valeur en soi, indépendamment de la fin qui devait les sanctifier. En homme de la Renaissance qu’il était, il admire le déploiement de la force pour lui-même, peu importe en quel sens la force se manifeste. Tout en combattant la Renaissance purement esthétique, il l’a lui-même introduite sur un terrain où il importe justement de voir la force toujours déterminée par la fin. La contradiction qui apparaît ici dans ses écrits, et particulièrement dans « le