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fini (mon doute et mon désir m’en convainquent), je ne puis avoir créé cette idée. Elle ne peut être née de la combinaison de perfections particulières perçues, car alors elle n’aurait pas l’unité et l’indissolubilité qui sont les marques distinctives de l’idée de Dieu. Au surplus, toute cause extérieure est finie. Il ne reste donc plus que ce soit Dieu lui-même qui soit l’auteur de cette idée. Elle nous est innée en ce sens que, dès que notre faculté de pensée s’éveille à la clarté, elle peut par sa propre force concevoir cette idée comme vraie. — Par idée innée (idea innata) Descartes entend donc non pas une idée donnée dès le début, mais une idée que nous avons la faculté de développer. L’idée de Dieu, dit-il, nous est innée dans le même sens que l’est l’idée de moi-même. « Les idées innées proviennent de notre faculté même de pensée44. » — Mais le mot « inné » fut malheureux ; il causa bien des méprises.

La réalité de l’idée de Dieu assurée de cette manière (à remarquer : en vertu de l’axiome de causalité), nous avons acquis selon Descartes une base solide de la réalité de notre connaissance. Tout ce que je connais est une partie de la réalité infinie exprimée par cette idée, est une des perfections que renferme la notion de Dieu, et partant, est pour moi certitude. Un être fini peut seul se tromper ; le risque de l’erreur disparaît dans l’Être infini, à la perfection duquel je participe par mes idées claires et distinctes. C’est ce que Descartes exprime sous une forme populaire en disant que Dieu, cause dernière de toutes nos sensations et de toutes nos idées, ne peut tromper, puisqu’il est un être parfait. Mais il laisse entrevoir, en y regardant de près, une liaison moins superficielle entre l’idée de Dieu et la réalité de notre connaissance. Comme je ne puis reconnaître mon imperfection qu’au moyen d’une idée plus ou moins distincte de la perfection et que l’idée de Dieu est l’idée de la perfection suprême, qui embrasse tout, cette idée est pour moi l’idéal, d’après lequel je puis mesurer et rectifier ma connaissance imparfaite45. En mêlant le concept de Dieu à la théorie de la connaissance, Descartes n’a pas à vrai dire en vue Dieu au sens religieux ; l’idée de Dieu n’est pour lui que l’idée de l’enchaînement de l’existence, enchaînement continu qui comprend tout, où tout ce qui doit avoir une réalité doit nécessairement