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que des fragments incohérents et les mathématiques n’étaient à ses yeux qu’une inutile chimère. Il pendit donc au croc les études et se jeta dans le tourbillon de la vie de Paris. Il ne put cependant renier entièrement son goût pour la spéculation ; parmi ses papiers se trouvait un traité sur l’escrime datant de cette époque. Il eut vite fait de se dégoûter de cette existence vide et brusquement il délaissa ses amis. Il s’était retiré dans un quartier solitaire de la ville pour étudier en paix. Dès lors son idéal fut de plus en plus de mener une vie solitaire, consacrée à la réflexion et à l’étude. Il prit pour devise : « Heureux qui a vécu caché ! » (Bene vixit, qui bene latuit !). Au bout de deux ans, ses amis le retrouvèrent et l’arrachèrent à la solitude. Il résolut alors d’étudier le « grand livre du monde ». Peut-être la vie pratique, qui met à l’épreuve toutes les pensées, apprendrait-elle aux hommes les vérités que de savantes spéculations ne peuvent faire découvrir. Du reste il voulait s’éprouver lui-même sous les coups du sort. Il entra comme volontaire à ses frais au service de Maurice d’Orange, tout en consacrant ses heures de loisir aux études, surtout aux mathématiques. De Hollande il passa en Allemagne, où la guerre de Trente ans était sur le point d’éclater. Il se joignit à l’armée rassemblée par le prince électeur de Bavière contre la Bohême révoltée. Pendant qu’il prenait ses quartiers d’hiver (1619-1620) à Neuburg sur le Danube, une crise scientifique se produisit en lui ; il trouva alors la méthode générale qui le guida par la suite dans ses études philosophiques et mathématiques. Dans une note posthume provenant de cette époque il a même indiqué la date précise du jour où naquit cette pensée décisive : « le 10 novembre 1619, lorsque rempli d’enthousiasme je trouvai le fondement d’une science admirable »42. Il s’enferma dans son « poèle » et se livra à des pensées qui le menèrent à sa théorie générale de la méthode. Il lui vint à l’esprit que de même que l’œuvre commune à plusieurs hommes est généralement plus imparfaite que celle exécutée par un seul homme, de même l’imperfection de notre savoir vient du grand nombre de nos professeurs, dont chacun nous inculque ses propres opinions, de l’influence des diverses tendances, des divers jugements contradictoires que nous entendons porter