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nature d’un motif purement humain, on n’en a pas moins le droit d’admettre des causes finales. Celles-ci peuvent en effet très bien se concilier avec le processus de continuité, dont la découverte est l’objet de la science naturelle. La cause finale est comme une nonne, elle est inféconde dans la science, mais elle a son importance en religion.

Dans ses Essays, Bacon examine les rapports de l’athéisme avec la superstition. Ici encore il dit que l’investigation à ses débuts mène à l’athéisme, mais que l’investigation profonde fait admettre l’existence d’un Dieu. Il voit cependant les causes principales de l’athéisme dans les querelles religieuses, dans la conduite scandaleuse de quelques ecclésiastiques, dans le penchant à la raillerie et dans les lumières, dans la paix et la prospérité de l’époque (car le malheur et l’infortune ouvrent l’esprit à la religion). L’athéisme dégrade l’homme : son être spirituel a besoin d’un soutien pour que la matière ne le rabaisse pas trop au niveau de l’animal, et l’homme s’ennoblit dans le commerce d’une nature supérieure, comme le chien dans le commerce de l’homme. Mais la superstition est encore pire que l’athéisme. Plutôt pas d’idée de Dieu qu’une idée indigne de Dieu ; dans le premier cas, c’est seulement de l’incrédulité, dans le second, c’est une offense. La superstition, bien plutôt que l’incrédulité, engendre les dispositions immorales. Elle est dangereuse pour l’État, car elle fonde dans le peuple une force qui peut excéder la force du gouvernement. Alors les sages sont contraints de suivre les insensés. C’est surtout aux époques de barbarie que naît la superstition.

Le dualisme qui apparaît dans la théorie de la foi et de la science de Bacon, et qui a tout l’air d’un compromis, se réfléchit naturellement dans sa psychologie et dans son éthique. — L’âme sensible de l’homme est matérielle comme celle de l’animal. Elle consiste en un souffle ténu et enflammé (aura ex natura flammea et aërea conflata), qui se porte du cerveau dans les nerfs et est nourri par le sang. Bacon se range en cela à l’avis de Telesio ; mais il manque de précision pour prouver comment il se fait que cet air ténu puisse actionner le corps, compact et dur. Il s’accorde également avec Telesio pour attribuer à toutes choses la faculté de recevoir des impressions,